I- Aimer est-il affaire du cœur ou du corps ?
Aime-t-on avec son corps ou avec son cœur ? Choisit-on librement l’objet ou l’être aimés ? Les hormones et les neurotransmetteurs jouent-ils un rôle dans le sentiment amoureux ? Aimer est-ce émotionnel, rationnel ou purement biologique ?
Platon a été l’un des premiers philosophes à chercher une explication rationnelle du désir amoureux en le rapportant au manque et au besoin du corps : « Ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour ».
II- Les sciences qui étudient le fait d’aimer :
Certaines sciences tentent de trouver une réponse à cette question que l’on a toujours posée à propos de ce sentiment que l’on est toujours incapable de comprendre parfaitement ou d’en élucider le mystère. Parmi ces sciences : La biologie, la neuroscience, l’anthropologie et la psychologie. Elles cherchent à définir les substances chimiques qui peuvent entrer en jeu dans le processus amoureux et qui détermineraient le comportement amoureux de l’homme, constituant ainsi une base biologique du sentiment amoureux.
III- Aimer est question d’évolution :
Aimer, du point de vue de la psychologie évolutionniste, est un mécanisme essentiel des rapports humains, notamment des rapports enfants-parents, vu qu’il assure la survie et la protection de l’enfant, qui se trouve dans un état de dépendance envers ses parents. Le comportement amoureux trouve son origine dans l’évolution du sujet qui apprend, durant son vécu, un ensemble d’acquis et d’expériences qui le préparent à ce type de relations humaines. Parmi ces acquis, figure le langage qui permet à la fois de séduire et de mesurer la capacité reproductive de l’autre.
Geoffrey Miller, psychologue évolutionniste américain, explique l’objet d’étude de ces sciences et leur but : « les neurosciences cognitives pourraient tenter de localiser les fréquentations amoureuses adaptatives dans le cerveau. Plus important encore, nous avons besoin de meilleures observations concernant les fréquentations amoureuses dans la vie réelle de l’être humain, notamment ses aspects mesurables qui influencent le choix du partenaire, les conséquences de la reproduction et les variations individuelles de ces aspects, et les mécanismes sociaux-cognitifs et émotionnels du processus amoureux ».
Darwin a été l’un des premiers à souligner l’aspect évolutif de l’expérience humaine de l’amour. Après lui, le biologiste Jeremy Griffith définit l’amour comme un « altruisme inconditionnel » rendu possible grâce au développement, de plusieurs siècles, des instincts de coopération.
IV- Aimer est biologique :
La biologie se focalise sur l’étude des principes neurochimiques (tels que le système nerveux central, les neurotransmetteurs, les hormones sexuelles ou substances chimiques : dopamine, ocytocine, vasopressine, testostérone, œstrogène…) qui entrent en jeu et déterminent les trois éléments les plus importants dans l’amour à savoir le facteur sexuel, l’attachement et le choix du partenaire. Ces facteurs ou éléments biologiques déterminent le sentiment amoureux et l’activité libidinale du sujet.
Des recherches scientifiques récentes ont montré que lors des caresses, des contacts sexuels et de l’orgasme, le corps libère une quantité de l’ocytocine donnant alors lieu à une sensation de bien-être, de plaisir et d’attachement à l’autre.
« L’amour est une forme de gestion de la matière », explique Jean-Didier Vincent, neuro- psychiatre et neurobiologiste français. Aimer serait ainsi purement chimique.
Pour mieux examiner l’aspect biologique de l’amour, trois psychologues américains: Thomas Lewis, Fari Amini et Richard Lannon ont coécrit A general theory of love, ouvrage qui s’intéresse à l’interaction amoureuse dans tous ses aspects : aspect social, cérébral et émotionnel.
Dans leur ouvrage, ils montrent le rôle essentiel du système limbique (ensemble des zones du cerveau responsables de l’olfaction, de la mémoire et de la régulation des émotions) dans l’amour. Ce système exerce une grande influence sur le système endocrinien (organes sécréteurs d’hormones). Mais ils montrent aussi que le système nerveux est lui-même influencé par l’entourage social et par le contact physique et affectif avec les autres. Aimer, malgré son assise biologique, est intimement lié à l’interaction entre les deux personnes qui s’aiment et aux activités qu’ils partagent.
Des études plus approfondies ont été faites pour découvrir les régions du cerveau impliquées dans l’expérience amoureuse. Andreas Bartels et Semir Zeki ont ainsi démontré en 2000, grâce à la technique d’imagerie cérébrale, que deux zones du cerveau : l’insula et le cortex cingulaire antérieur s’activent lors d’un sentiment amoureux. Stephanie Ortigue, professeur en psychologie, démontre que le à l’être aimé permet d’activer les régions du cerveau associées à la récompense et à la motivation.
À partir d’expériences d’imagerie du cerveau, Lucy Vincent, docteure en neurosciences, a prouvé que l’amour romantique participe à la baisse des émotions négatives, et de la capacité du jugement et du discernement (ne dit-on pas que l’amour rend aveugle !). Aimer participe également à la libération des endorphines responsables du plaisir et de l’euphorie, et à l’élévation du taux de dopamine. La libération de ces deux substances chimiques ainsi que celle de l’ocytocine serait à l’origine de l’attachement à l’être aimé et expliquerait la ressemblance entre passion et addiction. Ces substances ou hormones sont nécessaires à la survie de l’espèce.
Aimer, d’après certains chercheurs, a un lien étroit avec le sens olfactif et les fonctions inconscientes du cerveau. Les phéromones, l’odeur et les messages olfactifs exercent une grande influence sur les émotions du sujet jouant ainsi le rôle de signal permettant de déclencher le sentiment amoureux.
L’analyse des hormones et des multiples mécanismes biologiques qui se déclenchent lors de l’expérience amoureuse permet de mieux comprendre les symptômes physiques qui apparaissent lors du sentiment amoureux (accélération du rythme cardiaque, sudation, tremblements, rougissements). Néanmoins, l’aspect biologique seul ne peut pas expliquer la complexité du sentiment amoureux. Aimer, pour l’être humain, mêle aussi le social et le psychologique (notamment le rôle de l’inconscient).
V- Aimer n’est pas que biologique :
Le mystère du fait d’aimer et sa complexité que la biologie ne parvient toujours pas à expliquer entièrement provient du caractère pluriel et imprévisible de l’amour. Arthur Schopenhauer, dans sa « Métaphysique de l’amour », chapitre de son œuvre Le Monde comme volonté et représentation, affirme : « On devrait plutôt être surpris qu’une affaire qui joue dans la vie humaine un rôle si important ait été, jusqu’à présent, négligée par les philosophes et soit là devant nous comme une matière neuve ». Selon Schopenhauer, aimer est l’un des mécanismes de la nature qui inciteraient le sujet à la procréation. C’est une ruse ou illusion dont le seul but est d’assurer la survie de l’espèce. Aimer n’a aucunement pour but l’épanouissement personnel, mais la continuité de la race. Mais aimer, pour d’autres philosophes, psychologues, sociologues et écrivains ne se réduit pas à une simple sensation qui toucherait au corps. Aimer est avant tout un sentiment ou une émotion qui est à la base de la relation à l’autre. Ce sentiment qui entraîne une transformation intense de soi-même qui ne concerne pas uniquement le niveau biologique, mais qui concerne aussi l’existence des êtres qui s’aiment et leur pouvoir d’agir.
De même, on ne peut nullement nier la dimension sociale d’aimer. La manière d’aimer est le fruit d’un apprentissage et d’une socialisation qui commence dès la première enfance. L’enfant observe et apprend à identifier le sentiment amoureux et à le reproduire en assimilant un ensemble de gestes, de mots, de codes et d’attitudes. La Rochefoucauld souligne la dimension culturelle de l’amour en affirmant que : « Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour ». Aimer est aussi un mode d’expression qui obéit à des règles sociales souvent inconscientes.
Aimer ne touche pas uniquement au corps et à la biologie de l’individu, mais également à sa conscience et sa représentation de soi, d’autrui et du monde. Aimer ne peut donc pas se limiter aux simples réactions physiologiques génétiquement innées, ni à une simple relation sexuelle, il est beaucoup plus.
Chez les écrivains et poètes, règne une vision romantique d’aimer. « L’homme n’est pas qu’un corps. L’amour n’est pas qu’une rencontre de deux corps. Aimer c’est en même temps partager des mots, des regards, des espoirs et des craintes. Ceux qui mutilent l’amour l’ignoreront toujours. Il est, indestructiblement, fait de la joie des corps et de l’union des espérances. Indestructiblement liées, comme les branches d’un arbre qui n’existent que par ses racines ». explique Martin Gray dans Le livre de la vie.
Jean Cocteau met l’accent sur la complexité d’aimer et sur son caractère insaisissable et imprévisible : « Le verbe aimer est le plus compliqué de la langue. Son passé n’est jamais Simple. Son présent n’est qu’imparfait et son futur est toujours conditionnel ».