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CPGE – Aimer : Erotisme et amour. Professeures : Moujahid – Abid.

Dans L’érotisme, Georges Bataille déclare : « l’érotisme est dans la conscience de l’homme ce qui met en lui l’être en question, parce qu’il s’agit –peut-être- d’un désir qui confond l’amour et l’angoisse, le secret et l’affiché, la jouissance et la catharsis.

L’ambiguïté du statut de l’érotisme fait naître une polémique philosophique et multiplie les expressions littéraires et picturales vacillant entre amour charnel et obsession libidinale.

I-   La sexualité, une manifestation brutale du désir amoureux ?

En se référant à la manifestation de l’amour des sociétés primitives, les anthropologues constatent qu’il est quasi absent, c’est la sexualité qui prime parce qu’elle n’était pas opprimée ou taboue. Autrement dit, puisqu’il n’y avait pas de morale, le désir sexuel se manifeste aisément dans leur mode de vie, contrairement à l’amour-passion qui n’a plus de place. A ce niveau, Henriquez avance dans son œuvre, Panorama de l’amour à travers les civilisations, « dans la plupart des sociétés primitives, il y a peu d’obstacles à l’assouvissement sexuel (…) Il en résulte que la passion romantique s’y perd. » Peut-on donc affirmer que la sexualité est l’antonyme de l’amour ?

En effet, Henriquez tend à souligner que l’amour romantique, l’attachement sublime au conjoint manque aux civilisations dites primitives. Pour que la passion amoureuse naisse, il semble nécessaire qu’elle confronte des obstacles, et si la libido est satisfaite, il serait difficile de connaître la sublimation amoureuse. Il n’y a donc pas d’amour sans frustration.

A ce titre, le mythe d’Aristophane montre que l’amour précède la relation sexuelle, cette dernière n’est qu’une union corporelle qui vise l’effacement de l’individualité, l’oubli de la solitude première. Par ailleurs, elle permet la procréation et la satiété du désir tout en respectant la distance entre les individus.

En revanche, le désir sexuel n’est-il pas la condition d’un amour authentique ? A-t-on toujours besoin d’une castration de la sexualité pour faire naître l’amour-passion ?

D’un point de vue psychanalytique, l’autre est un outil de substitution, qui vient remédier à la rupture avec la mère. On constate donc que le désir sexuel naît des ruptures et des séparations. La frustration assujettit et remodèle le désir en le faisant obéir aux lois du groupe.

Dans son œuvre, le malaise dans la civilisation, Freud annonce : « il est impossible de ne pas voir dans quelle mesure la culture est édifiée sur du renoncement pulsionnel, à quelle point elle présuppose la non-satisfaction des puissantes pulsions. » Ainsi la satisfaction totale et brutale des désirs perturberait-elle le groupe. Pour vivre correctement une vie érotique, il faut essentiellement passer par des choix conventionnels et éthiques.

C’est pour cette raison que Zygmunt établit une différence entre l’amour et le désir, si ce dernier cherche à consommer, l’amour tend à posséder : « Désir et amour sont en désaccord. L’amour est une toile jetée sur l’éternité, le désir un stratagème visant à s’épargner la corvée du tissage. » Doit-on donc penser à un embellissement du désir ?

II-   L’érotisme, l’art d’aimer :

Il est bien évident que l’amour est au cœur de la définition de la philosophie, elle est l’amour du savoir et de la sagesse. Ce lien essentiel entre savoir et désir est repris par Monique Dixsaut qui rappelle l’ambigüité du terme Eros, qui renvoie à la fois à l’appétit sexuel (epithumia) et l’amitié (philia). L’épithumia est certes décrite comme un mouvement qui tire l’âme vers le bas, cependant, l’analogie de l’attelage ailé recommande de conduire ce désir vers des objets intelligibles. Il n’y a donc pas d’opposition radicale entre le désir et la pensée.

A ce niveau, une remise en question des préjugés condamnant l’érotisme s’impose. L’espèce humaine tâche de se détacher de l’instinct animal pour sublimer à plus d’un titre sa sexualité. A cet égard, Jared Diamond, le biologiste américain, inscrit l’espèce humaine dans une continuité évolutionniste en la baptisant « le troisième chimpanzé ». Effectivement, la sexualité humaine s’est particulièrement détachée de l’idée de la reproduction. On parle plus de pulsion sexuelle que d’instinct parce que cette force puissante amène l’homme à chercher son plaisir et le plaisir de l’autre, d’où la notion de l’érotisme.

En fait, à la différence de la sexualité, l’érotisme cherche la satisfaction de l’autre ainsi que l’augmentation du plaisir, il représente parfaitement la culture humaine. On le retrouve abondamment dans les textes littéraires, les toiles et les sculptures.

Il est également associé, dans les œuvres picturales et littéraires, au principe de la transgression. Jean-Honoré Fragonard, le peintre français à vocation libertine, traduit à travers ses scènes galantes la quête érotique du plaisir. Son tableau « le baiser à la dérobée » met l’accent sur le thème du plaisir dérobée par l’opposition entre deux univers, deux attitudes que disent la posture, le visage de la jeune fille, divisée entre deux espaces, l’un secret et interdit, et l’autre pratique et conventionnel. La dérobade souligne l’urgence et la nécessité du plaisir, car l’interdit l’anticipe. A cet égard, l’érotisme inscrit le désir dans un cadre artistique sublime. Pour clarifier cette idée, Bataille montre que l’essence érotique de l’humanité s’inspire de l’interdit : « L’humanité, significative de l’interdit, est transgressée dans l’érotisme. Elle est transgressée, profanée, souillée. Plus grande est la beauté, plus profonde est la souillure. » S’il y a du plaisir, c’est parce qu’il y a transgression.

III-    L’énigme de la caresse, le toucher du dehors :

Michel Henry déclare que dans l’expérience érotique, l’égo s’efface, il est perdu dans l’union, il est dans la rencontre du corps d’autrui. Concevoir l’autre comme subjectivité, c’est comprendre qu’il s’agit d’un mouvement vers un autre monde, une autre vie et une autre perception, et non pas vers un objet, comme en témoignent ses propos : « Le corps de l’autre dont j’ai l’expérience dans l’amour sexuel par exemple, n’est pas du tout un objet, son mode d’être n’est pas du tout être-pour-autrui, D’où le monde de l’amour: radicalement autre; la main qui serre et que je serre—c’est l’acte de serrer que je serre. C’est sa subjectivité… que je touche…, ce sont deux Ego métaphysiques qui se touchent et non une image que je parcours avec mes doigts, un fantôme. ».

La caresse est l’une des manifestations du désir qui ont intéressé Sartre et Lévinas puisqu’elle représente un toucher significatif, un toucher animé par le désir. Il ne s’agit pas d’un simple rapport charnel au corps de l’autre, mais d’une perception désirante du monde.

De là, la caresse incarne un mouvement horizontal qui touche les choses, et les transforme à un espace de sens. Il s’agit d’une double affirmation de l’amour, un amour éprouvé par quelqu’un et un amour éprouvé pour quelqu’un.

Finalement, la caresse est cet acte érotique qui fait naître les amants, comme l’a bel et bien décrit Sartre : « c’est mon corps de chair qui fait naître le corps d’autrui. » De même, la sensibilité s’ouvre au dehors, et le dehors dont parle Lévinas dans tout son livre devient ainsi une partie, le fondement de la subjectivité.

A RETENIR :  

  • Dans les sociétés primitives, la sexualité, libre des contraintes notamment morales, est prédominante au détriment de la passion amoureuse.
  • La passion naît et s’affirme à l’intérieur même des obstacles et des
  •  L’érotisme n’est pas une sexualité effrénée mais un désir sexuel qui passe par les canaux des conventions sociales et de l’éthique.
  • C’est un art d’aimer qui s’intéresse à la satisfaction de l’autre et à l’augmentation du plaisir qui croît avec l’existence d’interdits.

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