Les gens qui, tout en désapprouvant le caractère et les mesures d’un gouvernement, lui concèdent leur obéissance et leur appui sont sans conteste ses partisans les plus zélés et par là, fréquemment, l’obstacle le plus sérieux aux réformes. D’aucuns requièrent l’État de dissoudre l’Union, de passer outre aux injonctions du Président. Pourquoi ne pas la dissoudre eux- mêmes – l’union entre eux et l’État – en refusant de verser leur quote-part au Trésor ? N’ont-ils pas vis-à-vis de l’État la même relation que l’État vis-à-vis de l’Union ? Et les mêmes raisons qui les ont empêchés de résister à l’Union, ne les ont-elles pas empêchés de résister à l’État ? Comment peut-on se contenter d’avoir tout bonnement une opinion et se complaire à ça ? Quel plaisir peut-on trouver à entretenir l’opinion qu’on est opprimé ? Si votre voisin vous refait, ne serait-ce que d’un dollar, vous ne vous bornez pas à constater, à proclamer qu’il vous a roulé, ni même à faire une pétition pour qu’il vous restitue votre dû ; vous prenez sur le champ des mesures énergiques pour rentrer dans votre argent et vous assurer contre toute nouvelle fraude. L’action fondée sur un principe, la perception et l’accomplissement de ce qui est juste, voilà qui change la face des choses et des relations ; elle est révolutionnaire par essence, elle n’a aucun précédent véritable.
Elle ne sème pas seulement la division dans les États et les Églises, mais aussi dans les familles ; bien plus, elle divise l’individu, séparant en lui le diabolique du divin. Il existe des lois injustes : consentirons-nous à leur obéir ? Tenterons- nous de les amender en leur obéissant jusqu’à ce que nous soyons arrivés à nos fins – ou les transgresserons-nous tout de suite ? En général, les hommes, sous un gouvernement comme le nôtre, croient de leur devoir d’attendre que la majorité se soit rendue à leurs raisons. Ils croient que s’ils résistaient, le remède serait pire que le mal ; mais si le remède se révèle pire que le mal, c’est bien la faute du gouvernement. C’est lui le responsable. Pourquoi n’est-il pas plus disposé à prévoir et à accomplir des réformes ? Pourquoi n’a-t-il pas d’égards pour sa minorité éclairée ? Pourquoi pousse-t-il les hauts cris et se défend-il avant qu’on le touche ? Pourquoi n’encourage-t-il pas les citoyens à rester en alerte pour lui signaler ses erreurs et améliorer ses propres décisions ? Pourquoi crucifie-t-il toujours le Christ – pourquoi excommunie-t-il Copernic et Luther et dénonce-t-il Washington et Franklin comme rebelles ? On dirait que le refus délibéré et effectif de son autorité est le seul crime que le gouvernement n’ait jamais envisagé, sinon pourquoi n’a-t-il pas mis au point de châtiment défini, convenable et approprié ? Si un homme qui ne possède rien refuse, ne serait-ce qu’une fois, de gagner un dollar au profit de l’État, on le jette en prison pour une durée qu’aucune loi, à ma connaissance, ne définit et qui est laissée à la discrétion de ceux qui l’y ont envoyé ; mais vole-t-il mille fois un dollar à l’État qu’on le relâche aussitôt. Si l’injustice est indissociable du frottement nécessaire à la machine gouvernementale, l’affaire est entendue. Il s’atténuera bien à l’usage – la machine finira par s’user, n’en doutons pas. Si l’injustice a un ressort, une poulie, une corde ou une manivelle qui lui est spécialement dévolue, il est peut-être grand temps de se demander si le remède n’est pas pire que le mal ; mais si, de par sa nature, cette machine veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi. Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine.
Henry David THOREAU, La désobéissance civile(1849).
Commentaire du texte :
L’auteur pointe une problématique intéressante dans l’étude de la machine étatique et par extension du projet démocratique, à savoir la désobéissance au gouvernement. Thoreau remonte à un principe naturel chez les hommes par lequel toute personne désobéit par défaut à une autre personne injuste et fait des précautions pour ne plus avoir de relation avec elle. Mais, cette action naturelle noble fondée « la perception et l’accomplissement de ce qui est juste » n’est pas appliquée aux Etats injustes ! L’auteur appelle donc les opprimés à déclarer leur désobéissance à tout gouvernement corrompu. Il déconstruit l’État et analyse ses paradoxes, voire ses manières de dominer. Il permet enfin de freiner « la machine gouvernementale » si cette dernière transforme le citoyen en instrument d’injustice : « si, de par sa nature, cette machine veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi ».
Résumé du texte :
· Plan du texte
Première unité de sens =Premier paragraphe Brut : (Idées principales en gras dans le texte)
Les gens qui, tout en désapprouvant le caractère et les mesures d’un gouvernement, lui concèdent leur obéissance et leur appui sont sans conteste ses partisans les plus zélés et par là, fréquemment, l’obstacle le plus sérieux aux réformes. D’aucuns requièrent l’État de dissoudre l’Union, de passer outre aux injonctions du Président. L’action fondée sur un principe, la perception et l’accomplissement de ce qui est juste, voilà qui change la face des choses et des relations ; elle est révolutionnaire par essence, elle n’a aucun précédent véritable.
Résumé de la 1ère unité de sens :
Le véritable obstacle devant tout changement réside dans ceux qui obéissent au gouvernement bien qu’ils désapprouvent ses mesures. Personne n’exige donc la dissolution de cette union paradoxale. Ainsi, l’action de rompre cette relation doit se fonder sur la perception et l’accomplissement de ce qui est juste.
Deuxième unité de sens =deuxième paragraphe Brut : (Idées principales en gras dans le texte)
En général, les hommes, sous un gouvernement comme le nôtre, croient de leur devoir d’attendre que la majorité se soit rendue à leurs raisons. Si l’injustice est indissociable du frottement nécessaire à la machine gouvernementale, l’affaire est entendue. Mais si, de par sa nature, cette machine veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi.
Résumé de la 2ème unité de sens :
Mais, en général, les hommes attendent souvent que la majorité consente à leur opinion. Si l’injustice est l’essence de la machine gouvernementale et si cette dernière transforme les citoyens en ferments de corruption, il est légal de freiner son cour.
Le véritable obstacle devant tout changement réside dans ceux qui obéissent au gouvernement bien qu’ils désapprouvent ses mesures. Personne n’exige donc la dissolution de cette union paradoxale entre l’État et ses partisans. Ainsi, l’action de rompre cette relation doit se fonder sur la perception et l’accomplissement de ce qui est juste.
Mais, en général, les hommes attendent souvent que la majorité consente à leur opinion. Si l’injustice est l’essence de la machine gouvernementale et si cette dernière transforme les citoyens en ferments de corruption, il est légal de freiner son cour.
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