
Par Hassan Oumouloud
-Limites de l’extrait : « Le Coryphée : si tes cris… » p.71- jusqu’à Premier
Serviteur : « son état de mutisme actuel »p.77
Le duel Paphlagonien vs Charcutier : Une joute multidimensionnelle !
Présentation de l’extrait :
Bien que court, cet extrait est lourd. Il s’avère délicat d’aborder toute la joute verbale entre les deux rivaux Le Paphlagonien et Le Charcutier, car elle structure la quasi-totalité de l’œuvre. En effet, les quelques pages de cette extraits présentent les grandes lignes d’un duel hors norme où le comique bat son plein et où Aristophane étale un bon nombre de techniques théâtrales pour étayer sa critique de la démocratie athénienne et exposer ferme sa haine pour la politique en général. Le Coryphée engage Le Charcutier à la page 71, avant que le Chœur ne le réengage pour débattre avant d’abattre le Paphlagonien et pour convaincre Démos que ce dernier ne fait que le noyer davantage dans la misère et l’esclavage. Le public aussi semble signer un double contrat d’engagement avec Le Charcutier. Le Chœur lui adresse ces mots qui laissent douter « Or çà, toi qui sort de la même école que les hommes du jour, montre-nous que cela ne sert à rien d’avoir reçu une éducation d’honnête homme ». Suite à cette demande, le Charcutier promet d’apprendre à son adversaire, et par extension à tous, « ce que c’est que ce citoyen ».Mais le fait-il vraiment ? Eprouve-t-il vraiment sa citoyenneté ? Là, s’enchaîne un long duel entre deux adversaires qui jouent chacun de toutes ses cartes, bien que ces dernières ne soient enfin de compte que deux faces d’une même monnaie. La morale d’Aristophane est claire : les politiciens ne sont que « des robinets à paroles » page 54, et la démocratie ne dépasse pas les limites d’un langage sinon d’un concours de cris violents.
Problématisation du passage :
-Le duel Paphlagonien Vs Charcutier : Violence apparente et complicité latente !
-La raison du plus criard est toujours la meilleure
-La démocratie athénienne se nourrit du « mutisme de la ville » plus que du bruit des démagogues !
I- Paphlagonien Vs Charcutier : Le duel subverti
-Le duel est l’un des lieux fameux du théâtre. Fameux par son importance due à sa violence et à son sérieux. Les rivaux y mettent du cœur et la catharsis bat son plein. L’argumentation y est accrue et la raison déploie toutes ses armes. Or, chez Aristophane, il s’agit d’un « vin nouveau ». Une subversion totale du duel classique (si l’on peut l’appeler ainsi). Le contexte comique l’exige et l’attaque de la politique athénienne ne peut aboutir sans des détournements de sens, voire des paraboles.
-A la place du sérieux, le comique atteint son paroxysme : comique de situation pour les deux adversaires qui se croient chacun plus fort que l’autre, plus raisonné que l’autre, plus prometteur que l’autre. Le Charcutier promet au début du texte de faire apprendre à son adversaire « ce que c’est que ce citoyen » alors qu’il n’affiche qu’un profil de hors-la-loi (bassesse, vol, mensonge). Le Paphlagonien se croyant supérieur et raisonné représente un souverain ubuesque.
-Dans cet extrait plusieurs techniques de comédie :
adversaires se battent pour avoir la parole le premier. Ce qui représente pour eux une gloire en elle-même !
-La réticence (couper la parole à l’autre que ce soit pour son inutilité ou pour mentionner sa force, ou pour aller dans un autre sens) page 76. Le Premier serviteur coupe la parole au Charcutier qui refuse de laisser « crever » le Paphlagonien.
-Quiproquo : ce n’est pas le verbe « crever » que voulait dire Le Charcutier mais le verbe parler. Ce qui fait une mésentente entre le Charcutier et le Premier Serviteur à la page 76.
–Le duel est subverti aussi car au duel traditionnel la fin est souvent désastreuse. Il finit par la mort de l’un et la gloire de l’autre. Chez Aristophane le duel ne finit pas tragique mais plus comique. Démos, dans la dernière réplique de la pièce condamne le Paphlagonien « à s’engueuler avec les filles et les garçons dans les établissements de bains », presque le même lieu d’où viennent les deux adversaires !
II- « Si tes cris l’emportent sur les siens l’honneur est à toi » Le Coryphée page 71
L’importance du discours politique est indéniable. La parole, arme efficace de l’homme, est pleinement engagée par les politiciens que ce soit pour atteindre le pouvoir ou pour y rester plus longtemps. La manipulation des foules passe d’abord par les douces paroles avant d’être un déploiement des différentes autres manigances. Pour dénoncer cet usage inadéquat de cette faculté proprement humaine, Aristophane procède par l’abrutissement de ses personnages qui crient
s’agit donc même pas de savoir si leurs paroles ont un sens du moment que le duel ne se passent pas entre parleurs mais crieurs.
-A la page 72 :
-Le Charcutier : je gueulerai trois fois plus fort que toi.
-Le Paphlagonien : mes hurlements couvriront les tiens.
– Le Charcutier : et les miens couvriront les tiens.
-La comédie d’Aristophane est bruyante. Des personnages assourdissants qui pensent qu’avec plus de cris il gagne le cœur de Démos. Il s’avère en vérité que Démos ne cède que par ce qu’il ne supporte pas les hurlements des politiciens : Le Premier Serviteur au Paphlagonien :
III-Une démocratie de canailleries : « La canaille a rencontré une autre canaille » Le Chœur page 99.
La morale d’Aristophane dicte que la démocratie athénienne est immorale. La critique du système politique grec se manifeste indirectement dans le jeu sarcastique, dans les ironies, dans les registres de langue, dans les techniques du comique, dans les jeux de mots, mais aussi directement à travers les noms propres des démagogues et des lieux de corruption (Cléon, Pnyx, Assemblée, Conseil…).
-L’effet de miroir entre les deux adversaires est un argument de la corruption de la démocratie athénienne qui se fond sur une complicité plus que sur l’adversité.
-Solution d’Aristophane : pour abattre un tyran, il faut un autre tyran plus fort en tyrannie ; et voir si ce dernier rendra à Démos sa dignité et sa liberté. A la fin de pièce Le Charcutier rend à Démos sa « trêve », mais personnifiée en
-Ce qui nourrit la tyrannie ce n’est pas la force du tyran mais le silence du peuple, « le mutisme de la ville ». Si le peuple parvient à casser son silence, il réussira à abattre le despotisme criard :
Et l’on sent que ce flot, comme toi, gouffre humain
Ayant rugi ce soir, dévorera demain.
Victor Hugo, poème « Au Peuple ».
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