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Dissertation : Le désir menace-t-il la société ? Par Adel Elouarz

Le désir menace-t-il la société ?

Travail schématisé afin de permettre aux étudiants d’identifier facilement les composantes de la réflexion !

Définition des concepts :

  • Société : Ensemble organisé d’individus entretenant des rapports d’interdépendance réglés, exprimables sous la forme de règles naturelles ou conventionnelles. Ensemble d’individus humains en relation d’interdépendance et organisé par des institutions.
  • Désir : aspiration profonde de l’homme vers un objet qui réponde à une attente. Tendance spontanée et consciente vers une fin avec représentation de cette fin. Le désir est une tension née d’un manque qui vise un objet ou un sujet dont la possession est susceptible de procurer de la satisfaction

Questions :

  • On va partir d’abord de l’idée que l’homme est un sujet désirant dont la nature est la sociabilité dans le sens ou il ne réalise son essence que dans le cadre d’une société.
  • Comment alors la société comme une masse d’individualités fonctionne-t-elle ? Qu’est ce qui détermine la nature des relations interpersonnelles, intersubjectives au sein de l’espace collectif qui est la société ?
  • Comment concilier la nature désirante et la nature sociable du sujet ?
  • Comment est-il possible de faire coexister dans une société, un ensemble d’individus mus par des désirs divergents, opposés et parfois inconciliables ?
  • Quels sont les effets sociaux de l’exacerbation, de l’amplification du phénomène du désir dans les sociétés de consommation ?

Problématique :

  • Si le désir menace la société, car il est sources de tous les conflits, il semble nécessaire de le faire soumettre à des interdits. Or, les interdits ne sont-ils pas des dispositifs de répression ? Comment alors garantir la liberté individuelle du sujet, en l’occurrence la liberté de désirer, et la coexistence des sujets au sein d’une société ?

I- La société est justement menacée par le désir :

1-  Le désir est menaçant car il empêche parfois l’établissement d’un équilibre dans la communauté :

En effet, le désir est considéré comme un interdit dans la philosophie chrétienne car tous les désirs qui portent sur ce que l’autre possède sont condamnables. Le 10ème commandement dans le Décalogue : « Tu ne désireras pas la maison de ton prochain, la femme de ton prochain, le serviteur de ton prochain… Bref, tout ce qui appartient à lui. » Dans le dixième commandement, il n’est pas question d’interdire une action, c’est plutôt un désir. Implicitement, il est signifié que tous les conflits et comportement antisociaux ont pour origine le désir. Il faudrait craindre le désir car il n’est de « menace » plus redoutable et plus bouleversante de l’ordre social que le désir.

2- Les désirs sont les sources des violences sociales et des rivalités.

Il est à noter que désir est une difficulté au sein de la cité : Une chose est désirable parce qu’elle est désirée par autrui. C’est dans ce sens que René Girard pense dans, Mensonge romantique et vérité romanesque le désir est origine de tous les conflits rivalitaires : Il le pense ainsi autrement que selon le schéma bipolaire classique : Cela signifie que le désir n’est pas un rapport de sujet désirant à objet désiré. Sa structure est triangulaire : Le sujet désire ce que l’autre possède. Quand deux désirs s’opposent ainsi, cela crée des rivalités entre les sujets désirants. René Girard dit que le désir mimétique peut avoir des effets nuisibles à la société. Le désir est une difficulté au sein de la cité. Une chose est désirable parce qu’elle est désirée par autrui. Ce désir mimétique consiste donc à vouloir ce que veut l’autre : je copie, je cherche à ressembler à celui qui n’est pas moi mais qui désire la même chose que moi. Mais le désir est accompagné, dès lors, d’une pulsion de mort : j’aimerais que l’autre soit éliminé afin que l’objet du désir ne soit qu’à moi.

3- Le désir est menaçant aussi quand il est pulsionnel et démesuré :

En outre, le désir bouleverse l’ordre social quand il devient pulsionnel et démesuré comme l’affirme Gilles Deleuze dans Capitalisme et schizophrénie ou encore Thomas Hobbes. En effet, quand les sujets sont mus par leurs pulsions comme dit Hobbes dans le Léviathan la société se transforme en espace de guerre généralisée « la guerre de tous contre tous». Le désir est l’origine de la violence dans le sens où caractéristiquement il est ternaire, ce qui consiste l’existence d’un autrui qui va orienter mon désir vers ce qu’il possède, donc le désir génère des rapports conflictuels avec autrui. Pour Deleuze, la société capitaliste transforme ne crée pas le désir mais plutôt des pulsions, c’est-à- dire un désir de consommation impérieux, impétueux et violent. Ceci peut avoir, sur le plan anthropologue et sociologique des effets délétères. Imaginons une société est on les sujets désirant aveuglés par des motions pulsionnelles : Certainement, cette société sera à chaque fois secoué par la violence et la crise.

II – Toutefois, la société est à la fois contraignante et génératrice de désirs : La société menace, limite et aliène les désirs individuels des sujets mais c’est cette même société qui les provoque, les stimule.

1 –  La société aliène les désirs individuels sous prétexte qu’ils sont menaçants :

La société nous impose des règles et des lois, elles nous demandent de nous conformer à certaines valeurs, elle demande souvent de renoncer à nos désirs pour elle. Il apparait clairement que son but premier n’est pas de satisfaire tous nos désirs, et que ce n’est pas seulement pour cela que nous acceptons de nous soumettre à toutes les contraintes qu’elle impose. C’est aussi parce que la société, dans l’idéal bien sûr, permet le développement de nos facultés, l’éducation de notre personne. Et cela concerne également les désirs : elle doit nous donner les clés pour apprendre à évaluer nos désirs par rapport au bien commun et à notre bien personnel, elle doit développer notre raison et la rendre capable de maitriser, ordonner nos désirs en vue de notre bonheur. Toute ceci parce que justement les désirs sont perçu comme des forces menaçantes.

Rousseau dit dans son Contrat social que la société est la quête de la vraie liberté́.

Il apparait ainsi que ce n’est pas pour satisfaire tous nos désirs que nous vivons en société, mais plus précisément pour satisfaire le Désir qui conditionne tous les autres : le désir d’être heureux. Or être heureux se construit dans le temps, il nécessite d’avoir reçu les moyens de développer ses facultés, de se connaitre, de pouvoir établir une juste relation avec autrui : La société semble exercer un devoir moral sur nos désirs égoïstes et antisociaux. Mais tout le paradoxe se résume dans le fait que : La société génère et détruit à la fois le désir.

2- Mais la société crée, stimule paradoxalement des désirs !

« Nous nous pouvons former aucun désir qui ne réfère pas à la société » Hume, Traité de la nature humaine, Livre II, Ce qui nous distingue des autres espèces, c’est que notre extrême sociabilité qui est à l’origine de toutes nos passions égoïstes, tous nos désirs personnels qui sont à l’origine de notre bonheur. Le désir ne s’éprouve que dans le cadre d’une société qui le stimule. Le paradoxe est d’une complexité très problématique : La société créé le désir alors que le désir menace peut être l’équilibre de cette société qui l’a crée. De toute façon, la société ne se constitue, ne se développe que parce que les individus sont parcourus de désirs qu’ils cherchent à satisfaire. On finirait par se demander si ce n’est pas le désir qui constitue la société car une société sans désir est inconcevable : D’Holbach la société crée en permanence les désirs, plus encore elle les accentue et les enflamme. Ainsi dit-il dans Le Discours sur les vrais principes du gouvernement publié en 1773, « « Une société[…] peu contente d’avoir satisfait ses besoins réels par un commerce étendu, s’occupe à en inventer de fictifs et de surnaturels : la satiété l’endort ; le changement lui devient nécessaire ; la langueur et l’ennui, bourreaux assidus de l’opulence, suivent les besoins satisfaits : pour tirer les riches de cette léthargie, l’industrie est forcée d’imaginer à tout moment de nouvelles façons de sentir ».

3- Il semble en effet que la société n’est pas vraiment menacée par le désir car plus qu’elle le crée, elle l’amplifie : C’est bien le cas des sociétés de consommation modernes :

L’idée que le désir menace la société est désormais désuète dans les sociétés de consommation modernes: Loin de toute forme de répression des désirs, les société de consommation amplifient ce phénomène en créant systématiquement des symboles, des images qui transforment le désir de consommer en « raison d’être » : désirer, consommer, nous dit Jean Baudrillard, dans Le système des objets publié en 1968, deviennent des « raisons de vivre », « un projet » : ce projet sitôt construit, il se détruit car d’autres objets à consommer apparaissent, donc d’autres projets de vivre associés à d’autres objets désirables : Ainsi le désir se révèle marqué par la cyclicité car il est associé à un manque, à une faille ontologique difficile à combler. Désirer n’est plus une expérience menaçante en effet, c’est au contraire un projet toujours dynamisé par de nouveaux objets consommables. Justement, c’est cette continuité du désir qui permet à la société d’être, d’exister : C’est bien dans ce sens qu’on peut inscrire cette phrase de Baudrillard « La société de consommation a besoin de ses objets- objet désirables, consommables- pour être et plus précisément elle a besoin de les détruire« .Le système des objets.

Certes, il apparait que le désir ne soit pas si menaçant car il est plutôt l’essence de l’homme donc de toute société. Pour éviter toutefois, de potentielles dérives de nos désirs, des dérives, des excès qui risquent de menacer le vivre ensemble et la coexistence des individus, il est impératif d’opter pour des lois-barrières, des moyens de régulations sans que ses restrictions régulatrices ne se transforment en dispositifs de répression, de contrainte ou d’aliénation de nos désirs, donc de notre liberté.

III – Pour éviter toute menace d’ordre individuel ou collectif (social), il faudrait réguler le désir sans réprimer ni aliéner les sujets désirants que nous-sommes :

1- L’impératif moral : une mesure- écran contre toute menace !

Pour éviter tout risque menaçant, il faut désirer dans le respect du système de valeurs morales et sociales en fonctionnement dans une société: C’est bien l’idée D’Holbach dans « la morale universelle où les devoirs de l’homme fondés sur la nature, publié en 1776 : Pour lui, le désir ne peut aucunement avoir d’effets délétères sur la société si « le sujets désirants tempèrent leurs désirs, leurs inclinations et tâchent de les satisfaire par des voies compatibles avec les intérêts de ceux auxquels la société les unit « . Ainsi déclare-t-il dans le même livre que « La tempérance est dans l’homme l’habitude de contenir les désirs, les appétits, les passions nuisibles, soit à lui-même soit aux autres. Cette vertu, de même est fondée sur l’équité. Que deviendrait une société dans laquelle chacun se permettrait de suivre ses fantaisies les plus déréglées ? Si chacun pour son intérêt souhaite que ses associés résistent à leurs caprices, il doit reconnaître que les autres ont droit d’exiger qu’il contienne les siens dans les bornes prescrites par l’intérêt général. »

2 – Renoncer volontairement à un désir égoïste, socialement menaçant est l’expression d’une emprise sur soi et d’une responsabilité à l’égard des autres :

Si l’homme réalise qu’un désir égoïste peut avoir des conséquences délétère sur la vie de la collectivité, cette menace, il peut la conjurer lui-même sans subir aucune contrainte, ni répression. Michel Onfray, philosophe moderne, fondateur de l’université populaire en France, a mis en perspective que la frustration volontaire est un mécanisme de résistance auquel un sujet désirant peut avoir recours afin de sublimer quelques désirs pulsionnels qui sont en-soi-même une menace aussi à l’échelle individuelle que collective. L’auto-frustration est un acte libre qui traduit toute l’emprise que le sujet peut exercer sur ses pulsions antisociales.

3 – Finalement, la régulation d’un désir menaçant est aussi fondamentale que la lutte contre toute de forme répression ou aliénation que l’individu peut subir :

Derrière l’interrogation « Le désir menace-t-il la société ? » il faut lire implicitement que le désir doit inspirer une certaine méfiance. Mais parfois la loi est plus « menaçante » que le désir qu’elle jugule ou interdit. Autrement dit, certaines lois se transforment en dispositifs de répressions, de dénaturation et de contrainte : C’est justement ce caractère superflu de quelques lois, qui restreignent la liberté infidèle de l’homme sous prétexte que « ses désirs sont menaçants », qui est souligné par Freud dans Malaise dans la civilisation. Selon, le psychanalyste autrichien quand, il y a des entraves, des lois superflues qui limitent des désirs qui ne sont pas en contradictions avec les exigences sociales, l’individu se sent plus aliéné que libre. Dans ce cas, la loi est plus menaçante, de part son aspect superflu, que le désir lui-même. « Le slogan des manifestants de Mai 68 en France est très révélateur dans ce sens : La société peut être menacée par le désir mais elle est menacée davantage par des lois qui interdisent pour interdire, qui aliènent plus qu’elles autorisent. L’homme ne trouve plus ce qui correspond à sa nature profonde, à savoir le désir, « son essence, son être-même ».

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