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Explication de texte / « Rondeau respondif à un autre, qui se commençait maitre Clément mon bon ami » L’Adolescence clémentine – Clément Marot, Par Adel Elouarz

« Rondeau respondif à un autre, qui se commençait maitre Clément mon bon ami »

En un rondeau sur le commencement
Un vocatif, comme « maître
Clément »,
Ne peut faillir rentrer par huis ou porte :
Aux plus savants poètes m’en rapporte,
Qui d’en user se gardent sagement.

Bien inventer vous faut premièrement,
L’invention déchiffrer proprement,
Si que
Raison et
Rime ne soit morte
En un rondeau.

Usez de mots reçus communément,
Rien superflu n’y soit aucunement,
Et de la fin quelque bon propos sorte :
Clouez tout court, rentrez ‘ de bonne sorte,
Maître passé serez certainement

En un rondeau

Dans la Deffense et Illustration de la Langue française (1549), Du Bellay rejetait les « vieilles Poësies Françoyses » pratiquées « aux Jeuz Floraux de Thoulouze; comme Rondeaux, Ballades, Vyrelaiz, Chantz Royaulx, Chansons, et autres telles episseries, qui corrumpent le goust de nostre Langue : et ne servent sinon à porter temoingnaige de notre ignorance »

Toutefois, pour comprendre le choix de Clément Marot d’écrire en rondeaux, il faut faire provisoirement abstraction des critiques postérieures qui se sont abattues sur cette forme et se placer dans la perspective du poète lui-même. À l’époque où Marot rédige ses rondeaux, la forme est-elle vraiment désuète ? Plutôt que de considérer le rondeau marotique comme un simple exercice de jeunesse ou comme une production anachronique, il serait plus juste de mesurer le plaisir que prend le poète à s’inscrire dans une tradition poétique, à témoigner de sa connaissance d’un code d’écriture et à répondre aux goûts de l’époque.

La virtuosité intrinsèque de la forme explique que l’on trouve souvent dans le rondeau  de Marot un discours métapoétique mettant en scène le talent du poète lui-même : On est dans une perspective où le poète s’attribue un véritable savoir-faire poétique et expose de façon, en ne peut plus manifeste, sa maitrise théorique et pratique de cette forme poétique héritée du Moyen Age, celle du rondeau : On va voir comment la maîtrise affichée par le premier rondeau marotique est thématisée dans un poème métadiscursif, un poème qui contient, comme dans un miroir, le rappel de ses règles.

  • L’attitude magistrale du poète :

On est in medias res dans une perspective méta-discursive : On est devant un manifeste, un art poétique, une réflexion métapoétique. Le titre « Rondeau respondif à un autre, qui se commençait maitre Clément mon bon ami » met l’accent sur une écriture en dialogue.

Marot se fait appeler « maître Clément » (v. 2) et préconise un usage exigeant du rentrement, (Le mot rentrement, comme l’a bien montré Jennifer Britnell, désigne initialement le mécanisme virtuose de réintroduction syntaxique, avant de désigner, par métonymie, le refrain abrégé lui-même.) excluant l’emploi du vocatif «  Maitre Clément ». Le poète adopte une posture magistrale : A travers la dénomination «  Maitre Clément », une fierté s’affiche de façon manifeste : Le poète se présente comme étant en mesure de donner des leçons qui le placent à égalité avec « les plus savants poètes ».

La maîtrise affichée du rondeau est thématisée et donne lieu à un poème métadiscursif : La virtuosité poétique dans ce rondeau qui parle de lui-même est manifeste dans la richesse des rimes comme l’atteste la rime « porte/ rapporte » ou trois sons se font entendre. Le poète s’affirme en effet  et se met sur le même piédestal que les poètes les plus savants. la virtuosité intrinsèque de la forme explique qu’il est question  dans ce premier rondeau d’un discours métapoétique mettant en scène le talent du poète lui-même.

Si à travers ce rondeau, Marot met en scène, non sans sentiment de fierté clairement affichée, son talent de poète, il n’en demeure pas moins vrai qu’il y est question d’un ton didactique : Le rondeau contient, comme dans un miroir, le rappel de ses règles.

La dimension spéculaire du rondeau :

La poésie est l’art de l’invention, C’est bien ce que nous lisons dans le premier vers de cette deuxième unité de sens: La poésie est maniement du langage mais aussi respect d’un ensemble de règles : l’expression « bien inventer » qui tombe comme une injonction dans cet art poétique que nous propose Marot, met l’accent sur le fait que la virtuosité poétique exige l’invention mais aussi une stricte observance de la raison poétique :  Par « raison poétique » il faut entendre la loi de la métrique et la prévalence des lois du vers : La modalité injonctive : « Que Raison et Rime ne soit morte/ en un rondeau » dit sur une tonalité prescriptive la conception de la poésie que Marot expose dans tout le recueil : La poésie, c’est la primauté accordée aux règles de la métrique, à la musicalité : Ceci montre comment la veine poétique chez Marot est imprégnée de l’influence de ses grand maitres, les Grands rhétoriqueurs. Le rentrement «  en un rondeau », témoigne d’une maitrise théorique et pratique de cette forme poétique (le Rondeau) et  révèle l’ambition du poète de construire son poème selon la mise en scène d’une maîtrise progressive. Il s’agit en fait de rappeler, au seuil de la séquence, le goût du rondeau pour le langage métapoétique.

Marot préconise dans la dernière strophe l’usage d’un langage poétique bien précis : «  Un langage communément reçu » : La rhétorique poétique doit puiser dans les ressources de la langue sans recherche excessive da la grandiloquence : Ainsi Marot ouvre la voie à une réflexion sur le langage poétique : faisant figure de trait d’union entre Moyen Âge et Renaissance Marot  emprunte le goût d’une langue orale et familière, qui peut aussi bien devenir virtuose comme l’était la poésie des grands rhétoriqueurs : C’est bien ce que préconise Marot dans les deux premiers vers de la dernière strophe : «  Usez… » : Le vous, le pluriel met l’accent sur un nouveau projet poétique, une nouvelle sensibilité dont le poète Marot se présente comme le chef de fil et l’initiateur. « Usez, coulez, rentrez…. » : Ce poème se caractérise par une dimension dialogique indéniable. Le vous auquel, Marot adresse et expose ses normes et principes poétiques pourrait renvoyer aux disciples mais aussi à tous ceux qui veulent emprunter ce nouveau sillage, ce nouvel horizon poétique que Marot est en train d’ouvrir. Le poète n’hésite pas à la fin de brandir l’étendard de l’immortalité  à ceux qui se fieront à ses recommandations. «  Clouez tout court, rentrez de bonne sorte/maitre passé serez certainement/ en un rondeau. »

Conclusion :

La virtuosité de la forme explique que l’on trouve souvent dans les rondeaux de Marot un discours métapoétique mettant en scène le talent du poète : Ce poème constitue l’un des cas exemplaires de cette propension du rondeau à parler de lui-même. Ainsi, comme dans L’Art de rhétorique de Molinet, les commentaires sur le rondeau sont livrés sous forme de rondeaux. Le savoir poétique est confié à la compréhension théorique du lecteur, mais aussi à son intelligence imitative. La maîtrise affichée par le premier rondeau marotique est thématisée cette pièce méta-discursive. Mais le jeu va plus loin : la maîtrise devient une provocation. Dans le rondeau III, le poète invective les « détracteurs » de son « maître » et fait du rondeau une nouvelle arme plus puissante qu’un canon : « Et eussiez-vous de rimes, et rondeaux / Pleins trois barils, voire quatre tonneaux, / Je veux mourir, s’il ne vous les défonce / Du premier coup ». Écrire un rondeau est non seulement la preuve d’une maîtrise mais aussi une manière de revendiquer publiquement son talent.

ADEL ELOUARZ, professeur agrégé, CPA – Marrakech.

adresse mail : adilcpge@live.fr

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