Illustre poète de son temps, Joachim Du Bellay fut un sonnettiste humaniste et un défenseur coriace de la langue française, il a formé «La Pléiade » en compagnie de Ronsard et s’est engagé à faire de sa poésie une œuvre où la sincérité prône à l’égard de l’éloquence et la prolixité qui étaient les caractères imminents des écrits de ses prédécesseurs. Joachim Dubellay entretient un voyage qui dura 4 ans à Rome où il accompagne son oncle, le cardinal Du Bellay, comme secrétaire à la cour pontificale, dans le but d’y rencontrer les humanistes les plus érudits de son temps et de plonger dans la culture antique or malheureusement il se heurte à une Rome rébarbative et se déplais des mœurs dépravées de la cour pontificale, subséquemment il produit ses recueils de sonnets célèbres : « les Antiquités de Rome » où il chante la gloire de cette cité aux dimensions universelles et « les regrets » où il traduit les déceptions de la vie quotidienne du poète à travers une plume tantôt satirique tantôt nostalgique quand il évoque avec amertume son pays l’Anjou natal.
Joachim Du Bellay dans sa mission de poète traduit dans un langage poignant qui mêle fond et forme toutes les images puissantes de Rome, cette mission qui sera compromise par les hypocrisies et les soumissions de la cour pontificale poussera Du Bellay à dénoncer cette dernière à la fin de sa vie dans son recueil « Le poète courtisan ».
Le poème sujet d’explication aujourd’hui est le sonnet 74 tiré « des regrets » c’est un poème épitre placé par Du Bellay au milieu des poèmes adressés à ses amis Gordes, Magny, Dilliers et Belleau, où il s’adresse à un destinataire non identifié en puisant dans une poétique argumentative dans le but d’expliquer et de s’expliquer à l’égard de cet interlocuteur :la composition interne du poème est conçue à base d’une argumentation précise et une réfutation explicite où le poète rejette farouchement les fausses accusations dans une forme fixe de deux quatrains à rimes embrassées « ABBA » deux tercets à rimes embrassées aussi « CCD ,EED ».
Notre poème s’articule autour de deux mouvements distincts : le premier auquel j ai choisis l’intitulé de « une scène dialogique » et qui s’étale du 1er vers jusqu’au 8ème vers et le second mouvement qui s’intitule « une auto-référentialité descriptive » qui s’étend tout au long des deux derniers tercets, à savoir du vers 9 au 14ème vers.
Le choix de ce découpage a été démontré par l’estompage et le glissement de la double instance énonciative où le « Tu » accusateur passe au « je » défenseur, dés lors on peut dire que le poème revêt un caractère réflexif.
Désormais il serait adéquat qu’on se demande comment Du Bellay mêle-t-il argumentation et négation dans son épigramme à caractère épistolaire afin de défendre son éthos ?
Dans un premier abord nous allons voir dans une scène dialoguée comment le poète reprend les accusations d’un éventuel « tu » en les accompagnant par une argumentation solide et les rejette dans une série de phrases négatives afin d’étouffer ces inculpations et laisser place dans un second abord à une esquisse d’un autoportrait où le poète se décrit et devient lui-même objet de son propre projet poétique.
LXXIV.
Tu dis que Du Bellay tient réputation,
Et que de ses amis il ne tient plus de compte :
Si ne suis-je seigneur, prince, marquis ou comte,
Et n’ai changé d’état ni de condition.
Jusqu’ici je ne sais que c’est d’ambition,
Et pour ne me voir grand ne rougis point de honte :
Aussi ma qualité ne baisse ni ne monte,
Car je ne suis sujet qu’à ma complexion.
Je ne sais comme il faut entretenir son maître.
Comme il faut courtiser, et moins ce qu’il faut être
Pour vivre entre les grands, comme on vit aujourd’hui.
J’honore tout le monde et ne fâche personne :
Qui me donne un salut, quatre je lui en donne :
Qui ne fait cas de moi, je ne fais cas de lui.