Comment définir le désir ?
Désirer : du latin desiderare, « regretter la contemplation d’un astre ». Désirer, c’est vouloir obtenir une chose, être tendu vers un but. Le désir est une tension vers ce dont on manque. Le désir est donc une tension vers un but. Si on n’obtient pas l’objet ou qu’on l’a perdu, cela provoque de la souffrance, de la nostalgie ou du regret.
Le désir est défini aussi comme une disposition mentale qui recherche son accomplissement par le plaisir. Pour Platon, c’est « ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà l’objet du désir ». Abstraction faite de la négativité que certaines visions lie au désir, ce dernier reste l’essence de L’homme », il est l’élan vital fondamental des humains. Celui qui éprouve du désir est un sujet humain, et il voit l’objet de son désir comme un bien, un élément positif.
Bien que la dimension physique du désir existe toujours, le désir est avant tout un phénomène psychique. Un désir est avant tout quelque chose qui occupe l’esprit.
Avant de questionner le désir, son fonctionnement, sa valeur et ses manifestations sur le plan individuel et collectif, il faudrait tout d’abord de définir la notion afin d’éviter des amalgames conceptuels.
Le désir : Un « champ conceptuel » très riche :
Le thème du désir, étant lié à l’âme humaine, se caractérise par son amplitude, sa fluctuation. En fait, puisque l’humain désire et désire plusieurs choses tout en essayant parfois de ne pas désirer, éprouve différentes sensations, vit plusieurs états d’âme. Certains de ces états sont appelés désirs tandis que d’autres portent d’autres désignations. C’est pourquoi il importe de distinguer le désir de certains aspects proches ou affiliés. Il importe alors de distinguer :
Désir et besoin : Selon l’usage répandu et d’après l’étymologie, le désir est vécu comme un besoin, né du manque. Ainsi, l’étymon « desiderare » est forgé sur un préfixe privatif, exprimant « ce qui n’est pas », « absence de… ». C’est pourquoi, on désire ce qui manque pour survivre ou pour continuer à vivre. Il s’agit alors d’un besoin vital (ne dites pas besoin naturel) inscrit dans la nature des êtres. Etant un besoin, le désir inspire la douleur et pousse l’individu à répondre impérativement à l’appel de la nature pour combler ce vide.
Désir et Plaisir : Souvent et surtout dans la langue courante, le désir et le plaisir sont confondus. Cependant, les deux termes constituent une chaine sur une lignée : le plaisir suit le désir atteint et satisfait. Il est alors la réponse automatique à ce que fait naitre le désir en nous.
Désir et envie : employés comme de véritables synonymes, le désir et l’envie partagent un même champ lexical. « Désirer » c’est « avoir une envie ». Mais, l’envie dépasse le désir dans sa violence et dans sa dimension morale : une envie tracasse et fait souffrir, si le désir nait d’un vide naturel et pousse à mouvement spontané, l’envie relève d’un désir ardent de posséder ou de regretter ce qui est hors d’atteinte. L’envie appartient aux péchés capitaux.
Désir et Passion : Entre ces deux termes, certains spécialistes relèvent juste une différence de degrés : un désir est un besoin vital et spontané, la passion devient un élargissement de ce désir devenant intense et impliquant la passivité du sujet désirant : jouer est un désir mais la passion du jeu emporte et domine. La personne contrôle ses désirs et se trouve subjuguée par ses passions.
Désir et Amour : Dans plusieurs langues, le désir et l’amour disent la même réalité sentimentale. Dans les textes même de Platon (Le Banquet en l’occurrence), le désir et l’amour semblent partagés la même origine, à savoir le manque : celui qui désire ou aime tend à remplir un vide essentiel en lui. Mieux encore, le rapport amoureux dépend du désir car un amour sans désir n’est pas amour. Ainsi, on confond le désir amoureux et le désir sexuel ! car il s’agit toujours de remplir un vide, de tendre vers le sexe opposé et réaliser la plénitude perdue.
Désir et volonté : « je veux » veut dire aussi « je désire », alors le désir serait à l’origine de nos actes et de nos mouvements. En effet, le désir est une tension vers un objet ou chose désirée. Il est ce qui nous pousse à agir et serait notre moteur de vie. Le vouloir c’est ce que je cherche à avoir et à récupérer, c’est pourquoi le désir semble une tension vers l’avenir, et se nourrit de l’imagination car en voulant c’est ce que je n’ai pas encore mais il est inscrit dans mon imagination.
Toutes ces considérations tournent autour du noyau du désir et soulève des interrogations morales, philosophiques et psychologique. L’étendue du terme épouse la nature de l’être humain variable, complexe et difficile à saisir de manière fixe.
- Maitriser ses désirs :
La tradition philosophique dévalorise souvent le désir. Il est rangé du côté du corps, de l’irrationnel. On le présente comme un obstacle : le désir nuit à l’autonomie et la liberté. Il freine la partie rationnelle de l’homme, il nous aliène et nous écarte de qui nous sommes vraiment. Cette vision s’intègre dans un cadre de pensée qui dénigre le corps et la matière. Nous allons nous intéresser à cette vision dépréciative du désir en l’approchant comme une négativité ou du moins une force dégradante de l’homme.
- Eprouver le désir :
Le désir est assez difficile à cerner : Il est cette espèce de force intérieure qui nous pousse à rechercher le plaisir : Tant qu’il n’est pas satisfait, le désir provoque un sentiment d’inaccomplissement chez celui qui l’éprouve. Nous pouvons dire que le désir est un sentiment d’inaccomplissement très intense qui s’empare de l’homme lorsque celui-ci ressent un manque. Ce manque peut être matériel, sexuel ou intellectuel. Désirer, c’est faire l’expérience du manque, et donc souffrir.
Cependant, comme Platon l’a exprimé avec le mythe de la naissance de l’Eros, la souffrance liée au désir a du bon. Elle s’accompagne d’une excitation agréable qui nous pousse à tout mettre en œuvre pour combler nos désirs et donc nos manques. De plus, un désir accompli entraine une satisfaction, un plaisir. Le désir a donc un visage ambivalent composé de souffrance et de plaisir.
C’est pourquoi les philosophes jugent le désir tantôt souhaitable, tantôt redoutables. Et ils considèrent qu’il faut les réprimer si l’on souhaite être le moins malheureux possible. En première partie, les arguments des philosophes qui se sont levés contre le désir, et qui appellent à le réprimer, seront présentés. En seconde partie, l’avis des philosophes plus mesurés sur la question et qui se demandent s’il ne faut pas encourager ses désirs seront étudiés.
La nature ambivalente du désir :
Le désir est manque, Platon :
L’expérience du désir est celle du manque : Nous désirons les choses dans la mesure où elles nous manquent. Cette conception est ancienne. Elle remonte à l’Antiquité et au mythe de l’Androgyne tel qu’on le trouve retranscrit dans le Banquet de Platon.
L’origine du désir selon Platon :
Dans le Banquet de Platon, six convives dont Socrate donnent leur conception du désir amoureux, après avoir bien festoyé. Aristophane, un poète, raconte alors le mythe de l’androgyne pour expliquer pourquoi l’homme désire.
« A l’origine, l’homme et la femme ne formaient qu’un seul être fusionné, l’androgyne. Mais un jour, cet être hybride est coupé en deux à cause d’un châtiment divin. Depuis ce jour, chaque homme recherche sa moitié perdue. L’amour est la rencontre avec son alter ego, son autre moi ».
Platon, le Banquet, 380 av. J-C
Le mythe de l’androgyne correspond à ce que nous appelons aujourd’hui la recherche de l’âme sœur. Le désir est bien ancré en nous et nous fait instinctivement chercher ce qui nous manque. Dans sa nature même l’homme est un être de manque. Exister, c’est cette quête incessante de ce qui lui manque, pour faire taire sa souffrance.
Une conception pessimiste du désir :
A l’origine, le mot « désir » signifie « la nostalgie de l’astre perdu, de l’étoile ». L’étymologie confirme donc que le désir a un rapport avec le manque. Le désir fait de nous des êtres souffrants. Il convient de se référer dans ce sens à Schopenhauer. Selon ce dernier, la vie est une oscillation permanente entre la souffrance de ce qui nous manque et la nostalgie de ce que nous avons perdu. Dans son œuvre Le monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer affirme :
« La vie oscille comme un pendule de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui ».
Il n’y pas d’alternative possible. A l’instant même ou nous désirons, nous souffrons de façon mécanique. La satisfaction apporte le plaisir. Mais immédiatement après, l’homme ressent de nouveau le besoin de désirer, sinon il s’ennuie. L’expérience révèle que quand notre désir est satisfait, nous éprouvons un vif ennui, et projetons notre désir sur d’autres objets. Schopenhauer développe une conception pessimiste de l’existence.
Pour Schopenhauer toujours, les moments heureux ne nous apparaissent comme tels que lorsqu’ils ont disparu. Nous désirons deux choses : Celles que nous n’avons pas et celles que nous avons perdues. Schopenhauer insiste sur l’aspect négatif du désir. Parce qu’il désire, l’homme est condamné à osciller entre peine et ennui. Pour sortir de cette douloureuse mécanique du cœur, la solution serait donc d’éteindre et supprimer le désir par un travail sur soi. Mais supprimer le désir n’est pas souhaitable. Cela a des conséquences néfastes sur l’individu. On constate par exemple que les personnes qui souffrent de dépression n’ont plus envie de rien. Elles souffrent d’apathie, l’absence totale de désirs
Il est vrai que le désir est une souffrance lorsqu’il n’est pas satisfait. Néanmoins, tout le monde a fait l’expérience du désir. C’est un sentiment positif surtout lorsqu’il s’agit de l’amour. Si le désir est source de souffrance comme le prétend Schopenhauer, pourquoi sommes-nous heureux lorsque nous l’éprouvons ?
- Le mythe de la naissance d’Eros :
Toujours dans le Banquet, Platon fait parler Socrate qui donne une vision très intéressante du désir en évoquant le mythe d’Eros.
- Le pouvoir du désir selon Platon :
Le désir, Eros en grec, est un demi-dieu né de l’union entre Pénia, une mendiante mortelle et un dieu Poros. Eros possède les caractéristiques de ses deux parents ; Sa mère étant une mendiante, il est « dans le besoin » mais en même temps, son père étant un dieu, il est plein de ressources pour combler ses manques et sortir du besoin. Littéralement, le désir est donc caractérisé par un sentiment de manque cruel et des capacités augmentées, qu’elles soient physiques ou intellectuelles.
En effet, avoir envie de quelque chose fait souffrir. Mais une envie sincère nous fera tout mettre en œuvre pour la satisfaire, y compris des choses qui nous seraient impossibles en temps ordinaires.
=== » le désir est ce qui active tout notre être pour sortir du manque.
- Discipliner ses désirs est la voie royale pour atteindre le bonheur, Epicure :
Epicure ne fait ni la condamnation ni l’éloge du désir. Il le comprend, et médite sur la façon d’en satisfaire une partie pour être heureux. Pour cela, Dans Lettre à Ménécée, Epicure classifie les désirs de l’homme en trois catégories. Nous revenons sur cette classification plus tard. L’Epicurisme vise à atteindre une tranquillité de l’âme constante en supprimant tous les besoins superflus. Seul les besoins essentiels restent à satisfaire. Et ce n’est pas un problème puisqu’ils le sont facilement. Notre corps atteint alors aisément la satiété, qu’Epicure nomme « l’aponie ». Et notre âme atteint la tranquillité, nommée « l’ataraxie ».
- Faut-il préserver le désir ?
Tous les philosophes ne rejettent pas en bloc les plaisir non-nécessaires. Certains analysent l’attachement des hommes à des désirs qu’Epicure qualifierait de non-naturels et non-nécessaires. Rousseau considère que ces désirs permettent d’enchanter l’existence. Pour Pascal, ces désirs permettent de nous faire oublier que nous allons vieillir et mourir.
- Il faut toujours désirer : Rousseau
Voici d’abord le point de vue de Rousseau, un philosophe des Lumières :
« Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède. On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère, et l’on n’est heureux qu’avant d’être heureux. En effet, l’homme avide et borné, fait pour tout vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu’il désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en quelque sorte, et pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa passion. Mais tout ce prestige disparaît devant l’objet même ; rien n’embellit plus cet objet aux yeux du possesseur; on ne se figure point ce qu’on voit ; l’imagination ne pare plus rien de ce qu’on possède, l’illusion cesse où commence la jouissance. Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité et tel est le néant des choses humaines, qu’hors l’Être existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas. »
Extrait de La Nouvelle Héloïse, VIII, 1761
Pour Rousseau, penseur du XVIII siècle, le désir enchante la vie, et à l’inverse, l’existence sans la puissance du désir devient un fardeau. C’est pourquoi il écrit :
« Malheur à qui n’a plus rien à désirer ».
Contre l’idée qu’il faut obtenir et consommer rapidement ce que nous désirons, Rousseau affirme qu’il fat entretenir le désir et le faire durer. Pour lui, un désir inassouvi vaut finalement mieux qu’un désir satisfait. Ainsi, déclare-t-il, « On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère ».
- Le désir amoureux
Dans Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes évoque ce rapport qu’entretiennent désir et amour à travers la communion à même de créer la troisième personne qu’on appelle « le couple ». En effet, il existe un lien consubstantiel entre amour et désir : l’expression « je t’aime » signifie-t-elle pas aussi « je te veux » ? Il s’agit d’un désir fusionnel. Ainsi, dans Le Banquet, œuvre majeure quant au thème du désir, Platon évoque le récit d’Aristophane sur l’origine de l’amour, à savoir l’androgyne (des êtres doubles jouissant de complétude et de pouvoir. Zeus décide de les diviser en deux et de plonger chacune des moitiés dans la recherche éperdue son autre moitié. De cette déchirure sont restés les deux genres. Ce mythe explique le désir qui pousse l’un vers l’autre. C’est dire qu’un amour sans désir n’est pas un amour d’autant que les deux sont corollaires. L’amour peut sortir de l’éros pour s’en tenir à la philia (amitié) ou à l’agapè (la charité : les autres nous sont chers), mais il englobe toujours le désir qui se manifeste à travers plusieurs préférences : le temps à passer ensemble, les retrouvailles, la conversation, le sentiment de déjà-vu et vécu. Par ailleurs, la philia désigne non seulement l’amitié mais toute sorte d’attachement ; une force qui nous pousse l’un vers l’autre, un vouloir vivre ensemble étant donné que l’homme est un zoon politikon. Celui qui ne désire pas les autres, et ne désire pas être avec les autres, il est soit une bête soit un dieu. L’amour des autres, l’amitié civique : une volonté de faire corps avec les autres : un être social. Pour Kant, l’Homme dispose d’une « faculté de désirer » et la volonté n’est qu’une forme de cette faculté. La notion de « volonté libre » est au centre de la pensée morale kantienne : qui ne peut être qu’une simple illusion. Car nous ignorons ce qui nous pousse à désirer. Autrement dit, les désirs s’imposent à nous, à notre insu, mais dépendent aussi de nos mouvements et de nos pensées. Or par l’intellect, on peut façonner nos désirs. Car l’homme est libre et perfectible .