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L’animal mécanisé face à l’animal sentant

Descartes s’inspire du modèle de la machine pour décrire le comportement de l’animal, inséré dans le mécanisme universel de la nature : « je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose ». Cependant, une machine ordonnée par Dieu n’est pas bien plus complexe et parfaite que celle qui sort des mains de l’homme ?
C’est à l’horloge que le vivant est le plus souvent assimilé par Descartes. Ainsi, toutes les merveilles que montrent les animaux ne sont que des processus d’horlogerie ; toutes les raisons de leur accorder une âme pensante ne sont que des fables pour ignorants : « je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m’en étonne pas ; car cela même sert à prouver qu’elles agissent naturellement et par ressort, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est que notre jugement nous l’enseigne. »
Si l’animal n’a pas d’âme, comment parvient – il à se mouvoir ? Selon Descartes, l’action animale émane de la chaleur ; il s’agit d’une espèce de feu dont Descartes rappelle qu’il peut se produire sans lumière. Le mouvement du cœur serait l’effet de ce feu qui dilate le sang dont les cavités du cœur sont remplies. Le sang circule sous l’effet de cette dilatation /condensation due à la chaleur.
La théorie de « l’animal-machine » sert donc la métaphysique dualiste de Descartes (substance pensante /substance étendue) et illustre sa méthode analytique fondée sur une séparation stricte de ce qui semble uni.
Cependant, il semble avouer indirectement que sa théorie s’est construite dans le but d’échapper à un certain sentiment de culpabilité : « mon opinion n’est pas tant cruelle envers les animaux qu’indulgente envers les humains (…) puisqu’elle les absout du soupçon de cime lorsqu’ils mangent ou tuent des animaux. »
Condillac s’oppose à l’identification des animaux à des automates. Selon lui, « les bêtes sentent comme nous », car le sentiment est la donnée brute, initiale du psychisme : sentir, signifie éprouver quelque impression des sens antérieure à toute réflexion.
Animaux comme hommes éprouvent des impressions, des sensations de douleurs et de plaisir sur lesquels ils font réflexion . Comment expliquer donc les mouvements itératifs des bêtes ? Selon Condillac, si les animaux témoignent de moins d’intelligence et d’imagination que nous, c’est tout simplement parce que leurs besoins sont plus faciles et plus rapides à satisfaire que les nôtres ; ce qui ne saurait témoigner de leur absence d’intelligence mais certainement d’une intelligence bornée.  bêtes ne diffère de l’homme qu’ en termes de plus et de moins : « la bêtes n’a pas sa nature de quoi devenir homme, comme l’ange n’a pas dans sa nature de quoi devenir Dieu .»
Finalement, pour Condillac, Descartes a eu le tort d’étendre aux animaux ce qui est vrai du seul monde physique.

Wafae Abid. Cpge – Mly Ismail – Meknes.

 

Descatres – Discours de la Méthode (1637),Ve partie. Oeuvres et lettres,
La Pléiade, pp. 164-165

 » […] ceux qui, sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l’industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu’aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes.

Et je m’étais ici particulièrement arrêté à faire voir que, s’il y avait de telles machines qui eussent les organes et la figure extérieurs d’un singe ou de quelque autre animal sans raison, nous n’aurions aucun moyen pour reconnaître qu’elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux ; au lieu que, s’il y en avait qui eussent la ressemblance de nos corps et imitassent autant nos actions que moralement il serait possible, nous aurions toujours deux moyens très certains pour reconnaître qu’elles ne seraient point pour cela des vrais hommes. Dont le premier est que jamais elles ne pourraient user de paroles ni d’autres signes en les composant, comme nous faisons pour déclarer aux autres nos pensées. Car on peut bien concevoir qu’une machine soit tellement faite qu’elle en profère quelques-unes à propos des actions corporelles qui causeront quelques changements en ses organes, comme si on la touche en quelque endroit, qu’elle demande ce qu’on veut lui dire; si en un autre, qu’elle crie qu’on lui fait mal, et choses semblables ; mais non pas qu’elle les arrange diversement pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire. Et le second est que, bien qu’elles fissent plusieurs choses aussi bien ou peut-être mieux qu’aucun de nous, elles manqueraient infailliblement en quelques autres, par lesquelles on découvrirait qu’elles n’agiraient pas par connaissance, mais seulement par la disposition de leurs organes. Car, au lieu que la raison est un instrument universel qui peut servir en toutes sortes de rencontres, ces organes ont besoin de quelque particulière disposition pour chaque action particulière ; d’où vient qu’il est moralement impossible qu’il y en ait assez de divers en une machine pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie de même façon que notre raison nous fait agir. Or, par ces deux mêmes moyens, on peut aussi connaître la différence qui est entre les hommes et les bêtes. Car c’est une chose bien remarquable, qu’il n’y a point d’hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés, qu’ils ne soient capables d’arranger ensemble diverses paroles, et d’en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées ; et qu’au contraire il n’y a point d’autre animal tant parfait et tant heureusement né qu’il puisse être, qui fasse le semblable. Ce qui n’arrive pas de ce qu’ils ont faute d’organes, car on voit que les pies et les perroquets peuvent proférer des paroles ainsi que nous, et toutefois ne peuvent parler ainsi que nous, c’est-à-dire, en témoignant qu’ils pensent ce qu’ils disent ; au lieu que les hommes qui, étant nés sourds et muets, sont privés des organes qui servent aux autres pour parler, autant ou plus que les bêtes, ont coutume d’inventer d’eux-mêmes quelques signes, par lesquels ils se font entendre à ceux qui, étant ordinairement avec eux, ont loisir d’apprendre leur langue. Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu’elles n’en ont point du tout. (…) Et on ne doit pas confondre les paroles avec les mouvements naturels, qui témoignent des passions, et peuvent être imités par des machines aussi bien que par les animaux; ni penser, comme quelques anciens, que les bêtes parlent, bien que nous n’entendions pas leur langage; car s’il était vrai, puisqu’elles ont plusieurs organes qui se rapportent aux nôtres, elles pourraient aussi bien se faire entendre à nous qu’à leurs semblables. « 

 

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