- Modes d’approche
Il est à souligner que le recueil de Marot est marqué par une opposition entre deux périodes (Adolescence et « Suite de l’adolescence »). En 1538, le livre se compose suivant le ‘’printemps’’ mentionné dans la préface (p.70) et exhibé par le vers du Temple de Cupido (v .1) pour s’achever par des chansons. La Suite s’ouvre, quant à elle, sur une lamentation (mort de Florimond Robertet) et se termine par des prières. On peut donc dessiner deux itinéraires contrastés à l’intérieur desquels évolue la poésie marotique bien que pour le poète, le recueil demeure le monde des « enfants sans souci ».
L’analyse de l’œuvre nécessite, toutefois, une bonne connaissance des questions poétiques relatives aux textes du XVIème siècle (cf. L’Art poétique de Sébillet). L’œuvre, de par son aspect ludique (jeu entre formes fixes et nouvelles formes), choix du décasyllabe et familiarité de la diction), donne à voir un langage transparent mais à l’interprétation complexe. Il faut donc faire attention aux interprétations purement ‘autobiographiques’ (poèmes de circonstance) et considérer le travail du poète comme étant non pas seulement une gloire (puisqu’il l’a retouché à maintes reprises) mais un couronnement en soi.
- Contextualisation (culture et enfance de Marot) : Voir la monographie.
- Les différents statuts sociaux de Marot
- a) Un page :
L’adolescence –au sens de jeunesse- de Marot a été partagée entre la Cour, le Palais de justice et les d’esprit basochien (Bacchus) du page (ce qui équivaut à un assistant gentilhomme) de Nicolas de Neufville (secrétaire du roi dès 1515). Il faut alors retenir de cette première situation de Marot la nécessité pour lui de se faire « coucher » c.-à-d. s’inscrire sur l’état de la maison d’un personnage puissant afin de garantir sa subsistance. Etant donné la difficulté d’imprimer à l’époque, Marot a pris conscience de l’urgence d’être pris en charge par un mécène auquel il rendra service, à son tour, en composant des poèmes à son honneur. Ce cursus honorum va lui permettre de devenir le valet de chambre du roi François Ier
- b) Protégé de la sœur du roi :
Il suffit de lire la dédicace du Temple de Cupido, l’Epître du dépourvu, la Petite épître au roi, la 5ème ballade pour saisir l’enjeu d’être au service du roi. Son père Jean Marot, lui en évoquant l’importance d’un tel métier en ces vers : «Donc pour ce faire, il faudrait que tu prinses// Le droit chemin du service des Princes// Même du Roi, qui chérit et pratique // Par son haut sens ce noble Art poétique »
- c) Poète des Princes (au service de la sœur du roi de 1519 au 1527) :
Il est à noter que les poèmes écrits pendant les trente premières années de la vie de Marot l’ont été avant que celui-ci n’accède à la fonction de « poète des Princes». L’Adolescence clémentine est à considérer en relation avec l’activité de Marot auprès de la sœur du roi, Marguerite (duchesse d’Alençon et future reine de Navarre) pour qui, il eût une admiration respectueuse (compte tenu des usages courtois de l’époque) et un peu forcée puisqu’elle était tout de même sa protectrice. Il l’avoue : « A qui dirai le regret qui entame// Mon cœur de frais, sinon à toi, ma Dame, // Que j’ai trouvée en ma première oppresse // (Par dit et fait) plus mère que maîtresse ? »
- d) Historiographe –propagandiste :
Tout comme son père, Jean Marot (valet de chambre d’Anne de Bretagne, femme de Louis XII, roi prédécesseur et oncle de François Ier) Clément Marot a réussi à s’acquitter de la charge du « chantre de la paix » en louant les embarrassants exploits militaires du roi. Toutes les pièces, ceci dit, ont trait à la campagne du Hainaut contre l’armée de Charles Quint (d’ailleurs seule guerre remportée par le roi français au camp d’Attigny. Cf. : Epître III et l’Epître en prose IV à l’intérieur de laquelle se trouvent insérés neuf vers d’un auteur mal connu et qui rappelle les prosimètres des Grands Rhétoriqueurs (pièces faisant alterner vers et prose). Le choix de Marot n’est pas complètement innocent, car même en accordant quelques éloges à l’aspect épique de la conduite foudroyante de l’armée française, le poète ne manque pas de souligner subtilement les horreurs de la guerre d’où l’urgence d’appeler à la paix. Cf. Ballade 9 et Rondeau 33.
- e) Valet de chambre d’un roi ’’poète’’ :
C’est pour le roi que Marot travaille et une grande part de sa production lui est dédiée, ‘’Petite épître au roi’’ VII en témoigne. Mettant en place, en addition de celle adressée à Marguerite (ma Dame d’Alençon) ce qu’on pourrait appeler «une poétique de la requête » (analyse p.p. 35-36), Marot compose à la fois pour dire son désarroi et faire l’éloge plutôt à la rime qu’au roi. En effet, l’équivoque redondante sur le mot rime est le métalangage provisoire d’une nouvelle vocation de la poésie : Il ne s’agit pas de louer le prince et transporter avec lui au « paradis » mais le prendre à part, hic et nunc, pour un entretien familier. Un autre texte lui s’adresse probablement à lui (Rondeau XIV) où l’équivoque autour du mot « françois » reste subtil. Marot y parle justement à un poète. Ce que l’on comprend de ces poèmes est que Marot, s’entretenant avec les puissants, refuse l’éloge traditionnel ou le rejette aux marges des poèmes, joue ingénieusement avec les codes du genre pratiqué et affiche une humilité qui cache une fierté de son arte proprium.
- f) Du poète des princes au prince des poètes
- f. Poète parmi « les enfants d’Apollon »
Au seuil de ses recueils, Marot ne parle pas au lecteur ordinaire. Il incorpore poétiquement ses Frères dont son ami et éditeur Etienne Dolet pour mettre en exergue l’existence d’une fraternité poétique et suggérer, peut-être, l’indulgence des enfants d’Apollon quant à la critique des poèmes.
- f. Un poète communicatif :
Marot, du fait que son père a aussi fait partie du clan des Grands Rhétoriqueurs, était un érudit, un grand lecteur des anciens dont Ovide, Virgile, Homère. La mythologie (le chant des Anciens) ne lui était pas étrangère. Ceci lui permit facilement de lire ses amis et de comprendre et même parfois louer leurs compositions. On note, à ce propos, la section des rondeaux qui donne des visages aux « enfants d’Apollon » (poèmes souvent de type encomiastique dédicacés) Cf. Rondeaux de 14 au 21. Dans le Rondeau 1 (responsif) et parodique, Marot donne la parole à Victor Brodeau, son principal disciple et imitateur à l’époque. Quelques pièces s’adressent également aux enfants d’Apollon en recourant au dialogisme. Au-delà de la mention de tel ou tel écrivain, il suffit de voir que les interlocuteurs privilégiés du poète sont désignées par « amis » et que l’ensemble de ces références dessine l’intérieur d’une communauté soudée, à laquelle le poète appartient. Or, cette réciprocité excessivement amicale peut facilement être tournée en dérision.
- f. « Maître et disciple » dans son recueil :
Marot adresse des poèmes dithyrambiques (Rondeaux) à certains des poètes apprentis de son époque Lyon Jamet et Victor Brodeau. Il se peut que sa relation avec ceux-ci ait été un rapport maître-disciple, que Marot ait joué le rôle du magistère poétique et qu’il ait profité de ce statut pour leur apprendre deux ou trois nouvelles règles poétiques, ce qui lui a donné plus d’assurance –ton satirique- ou alors, qu’il ait appris d’eux également ce qui lui a permis de leur déléguer son éloge. Cela dit, l’ambiguïté (du statut de celui qui se présente comme un poète adolescent) est véritablement constitutive du recueil. C’est par exemple ce qu’explicite ce distique de Nicolas Bérault (disparu dans la version au programme) : « C’est de Clément le jeune passe-temps//Dans lequel rien de jeune moins n’attends ». Apprenti et maître ; le thème traverse le recueil surtout la section des rondeaux (terrains parfaits de mise en scène des conditions de l’écriture marotique). «Maître Clément mon bon ami » que l’on retrouve dans le premier rondeau peut supposer une maîtrise de l’art poétique. Ce qui lui donne la possibilité de donner des leçons qui le placent à égalité avec les plus « savants poètes » Rondeau 1. On lit alors différemment le Rondeau 3 dont le titre demeure involontairement impersonnel « Du disciple soutenant son maître contre les détracteurs ». Bref, il faut bien faire la part entre l’humilité et la jeunesse affichées, qui brossent le portrait du poète en plus apprentissage qui se découvre distraitement mais avec constance dans le recueil. Marot passa de poète des princes au Prince des poètes.
- Le public visé : Théorie de la réception :
- a) Les Princes :
Certes l’œuvre de Marot connut un grand succès mais l’ambition du poète était qu’elle parvienne à tout le monde « Peuples et Rois » (épilogue). Il est aisé d’expliquer les raisons derrière ce choix (pour mieux comprendre également la genèse de l’œuvre) : Dédier ses textes au roi semble relativement logique puisqu’il cherchait d’une part sa protection et d’autre part, en profitait pour discuter subtilement la situation précaire des poètes de son époque. Cela étant dit, hormis la poignée de pièces qui s’adressent clairement au roi ou à sa sœur Marguerite ou à François Ier (Epîtres II et VII, III, IV, Rondeaux 32 et 33), l’ensemble du recueil ne s’adresse au prince que comme divertissement. Le livre est « un passe-temps » et cela embrasse parfaitement l’essence de la pensée humaniste (à l’origine d’apprendre et se divertir que Molière, La Fontaine reprendront au XVIIème siècle). Il est à noter que Marot était également traducteur des Métamorphose d’Ovide et des Psaumes de David qu’il dédia au roi, ce qui l’inscrivit également dans la politique nationale qui consistait à faire de la France, l’héritière des grandes œuvres de l’Antiquité.
- b) Les « Enfants d’Apollon » :
Marot s’adresse à ses frères (textes liminaires de son recueil) pour leur demander de prêter attention à composition corrigée et oublier donc les anciens textes qu’on lui a attribués à tort. Or, ce qu’il faut comprendre derrière cette requête est de dessiner le portrait moral de son lecteur. Lequel lecteur aurait une « bonne conscience » (Cf. Rabelais). Marot destine alors son livre à toute personne ayant « bonne volonté », une sorte de fraternité s’installe d’ores et déjà entre lui et son lecteur. Le public ressemblerait donc à cette ‘’bourgeoisie’’ urbaine cultivée, courtisane, bonne vivante.
- c) Le peuple :
Marot a réussi, dans l’ensemble de sa poésie, d’utiliser des objets et les normes qui circulaient dans la société du XVIème siècle et qu’en les maniant, à sa manière, on a fait de lui l’un des poètes les plus « populaires » de son époque. L’érudition de Marot consistait justement en cela : Etre poète capable de composer ce qui plairait à l’oreille du roi (ballade comme genre) et à celle du peuple (la chanson). N’exclure personne (sauf ceux qui ont mauvaise conscience) voilà ce qui a compté pour Clément Marot.
Sujet de dissertation : «Marot par son tour et par son style semble avoir écrit depuis Ronsard : il n’y a guère, entre ce premier et nous, que la différence de quelques mots » La Bruyère, 1992, p.704
5- Lire l’œuvre, connaître l’auteur, recevoir le message :
Le Péritexte est l’ensemble d’éléments textuels ou iconographiques que l’on trouve autour du texte comme le titre ou la préface, parfois insérés dans les interstices du texte (titres, chapitres ou notes). Pour Marot, certaines épîtres commentent les projets d’édition mais font partie intégrante du livre. Celles-ci ont pour objectif de sauver la réputation du poète et discréditer ainsi ses « ennemis » ; l’épître à Dolet en est la preuve : Brandissant l’étendard de « l’honneur de l’auteur »p.70, elle se contient dans les bornes d’une modestie discrète mais traditionnelle. La seconde, accompagnée d’une fière adresse « à son Livre »p.67, oublie les conventions, convoque les grands auteurs du passé et loue la subtile organisation du nouveau recueil. Ces liminaires, bien qu’ils soient écrits une vingtaine d’années après les poèmes du livre, ont pour fonction de programmer le lecteur à la réception du projet poétique proposé par Marot. C’est aussi une manière de souhaiter l’immortalité de l’œuvre elle-même et alors le nom de celui qui l’a composée. « Que la mort n’y mord » dit-il dans Déploration de Florimond Robertet.
L’un des autres détours empruntés par l’auteur dans le péritexte pour affirmer sa dignité d’auteur est la constitution d’une sorte de tableau des grands écrivains du passé (les premiers 7 longs poèmes ou Opuscules), en plus de l’inscription de Jean Lemaire de Belges et François Villon qu’il invoque comme des autorités avec lesquelles il entend rivaliser. Le coup de génie est de composer un recueil, l’épurer et lui donner son nom littéralement (Adolescence clémentine).
6- Titre : Une œuvre autobiographique
Le titre choisi par le poète et la glose quasi tautologique qui l’accompagne (de Clément) sont tellement clairs qu’il est semble inutile de les expliquer. Or, avec Marot, ses subtilités et ses perspectives, la chose n’est pas aussi évidente ! En effet, que signifie ‘’adolescence ‘’ par exemple ? Et l’adjectif (que l’on ne retrouve nulle part dans l’œuvre) ? Pour ce qui est de la deuxième question ; Il paraît facile de la régler. Si la forme « clémentine » ne figure que dans le titre, le poète ne se prive pas de jouer sur les résonances de son prénom : (Le Jugement de Minos) « mon nom est Clément » et de l’associer au pape Clément VII (dans l’Enfer). C’est sans doute la clémence, et peut-être, la charité ‘’paulinienne’’ dont il est question. Il y a peut-être là, par la création d’un adjectif qui n’est pas seulement relationnel (l’adolescence de Clément), l’idée de forger dès le titre un terme qui décrirait une manière (à la façon de Clément). En outre, le fait de privilégier le prénom sur le patronyme contribue, avec l’ouverture sur le dialogue virgilien des bergers, à la formation d’un certain ethos pastoral à l’orée de l’Adolescence : Clément ressemble ainsi à Tityre et Mélibée. Enfin, il est également probable que Marot ait cherché à se faire à la fois un nom et un prénom. Son patronyme a certes déjà été illustré par son père (Jean Marot), ainsi lors d’un dialogue des rondeaux 17 et 18, Etienne s’adresse au fils Marot.
Pour ce qui est du terme « adolescence », selon Gérard Defaux[1], Marot entend donner les pièces composées jusqu’à sa trentième année. Le mot « adolescence » est, à ce propos, employé deux fois dans l’œuvre, et à chaque fois, il s’agit d’évoquer de jeunes hommes au seuil de la carrière qui les attend, qu’il s’agisse d’un Alexandre de vingt ans (Le Jugement de Minos, v-168) ou d’un Marot lui-même (p.180, v-139) sur le point d’entrer au service de Marguerite de Navarre, amorçant ainsi son statut de « poète des princes ». Pour Marot, l’adolescence repose sur des critères psychologiques et personnels surtout.
[1] Spécialiste de Marot et de Rabelais (professeur normalien, mort en 2004)