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Synthèse : l’animal comme « sujet cognitif et émotionnel « . Par Adel Elouarz

« Dans les pays occidentaux, l’histoire de l’ani­mal peut être éclairée à partir du débat complexe et récur­rent sur le statut à accorder à l’animal : l’animal est t-il une machine ou un sujet ? L’animal- objet est l’animal machine des cartésiens ou de béhaviouristes. Cet animal est sans conscience ni histoire, sans ego ni volonté. Il est littérale­ment jeté dans le cours du monde, ou il évolue au gré des stimuli rencontrés. L’animal-sujet est son contraire, puis­qu’il possède une « subjectivité ». C’est celui de Jeremy Bentham, l’animal qui souffre et qui a des droits. C’est aussi, dans une certaine mesure, l’animal des cognitivistes, qui planifie ses actions, génère des représentations de son environnement de lui-même et des autres et agit en fonction d’elles. C’est un animal qui a des désirs et des croyances, et qui prend des décisions en fonction des informations qu’il reçoit. Cet animal-sujet possède un soi, dont il n’est pas forcément conscient, mais que des expérimentateurs avisés peuvent mettre en évidence. Ce sujet cognitif et émo­tionnel reste cependant un sujet faible. Une figure de sujet fort se développe à partir de lui sans s’y réduire. Le sujet fort est un sujet qui a lui-même une certaine conscience de son identité et qui adopte des stratégies plus ou moins éla­borées pour la renforcer.
La notion d’animal est éminemment problématique. Le chercheur rencontre des animaux aux compétences et aux statuts différents. Certains se révèlent ainsi remarquable­ment proches d’une idée assez intuitive des sujets humains. Même si de nombreux travaux en éthologie et en psychologie comparée dressent le portrait de certains ani­maux comme des sujets, cette notion constitue le point aveugle de l’éthologie contemporaine. Les ours bruns (Ursus arctos) exhibent ainsi des comportements distincts d’un animal à l’autre de façon constante. Après avoir suivi sept individus précis pendant trois ans, des études améri­caines ont pu déterminer cinq façons de caractériser ces différences interindividuelles. Elles montrent que certains ours sont vivants, animés et joueurs dans des situations sociales et au cours d’activités solitaires, telles que la pêche ou le déplacement, alors que le comportement général et les façons de se comporter d’autres ours sont au contraire dépourvus d’humour et lourds. Quelques-uns de ces ours sont irascibles, d’autres socialement inertes et peu impliqués dans la vie du groupe. Certains sont des pêcheurs experts, alors que d’autres essaient d’attraper des poissons de façon inepte. Certains ont confiance dans les autres ours, mais d’autres manquent de confiance dans les situations sociales. Quelques-uns sont souvent actifs ou alertes alors que d’autres se reposent plus fréquemment et pour des périodes prolongées. Les styles personnels chan­gent avec le temps et l’expérience. Deux ours montrent même des comportements tellement idiosyncrasiques qu’ils sont été qualifiés d’uniques par les auteurs.
Dans nos sociétés, deux stratégies parallèles attribuent cependant, de façon très différente, un statut de sujet à l’animal, et cela dans une perspective qui est complémen­taire de celle des sciences de l’animal, qui s’appuient sur un sujet cognitif. La première de ces stratégies conceptua­lise l’animal comme un sujet de droit. La deuxième stra­tégie perçoit l’animal comme un sujet qui éprouve des émotions et vis-à-vis duquel je ressens moi-même des émotions fortes. Ces stratégies se renforcent mutuellement et occultent l’opposition qui e creuse entre d’une part l’animal avec lequel on interagit fréquemment et d’autre part celui que les chercheurs étudient avec minutie. »

Dominique LestelLes Origines animales de la culture, 2001, Flammarion, p. 306-307.

« Conformément à notre peinture du monde de ani­maux comme scène sanglante de combat, nous mécon­naissons le degré de complexité de la vie sociale d’autres espèces, où les individus se reconnaissent et entretien­nent des rapports. Quand les êtres humains se marient, nous attribuons l’intimité qu’ils établissent entre eux à l’amour, et nous compatissons vivement à la peine d’un être humain qui a perdu son conjoint. Quand d’autres animaux s’unissent pour la vie, nous disons que seul l’instinct les pousse à se comporter de la sorte, et si un chasseur ou un trappeur tue un animal ou le capture pour la recherche ou pour un zoo, nous ne nous demandons pas s’il n’a pas un conjoint qui souffrira de son absence soudaine. De même, nous savons que la séparation d’une mère humaine de son enfant est une tragédie pour tous deux ; mais ni les agriculteurs ni les éleveurs d’animaux de compagnie ou de laboratoire ne pensent un instant aux sentiments des mères et des enfants non humains dont la séparation routinière fait partie intégrante de leur profession.
Curieusement, alors que les gens écartent souvent des aspects complexes du comportement animal comme n’étant que de « simples instincts » et par conséquent comme indignes d’être réellement comparés aux comportements humains en apparence similaires, ces mêmes gens, quand cela les arrange, oublient ou igno­rent l’importance des schémas comportementaux instinctifs simples. Ainsi entend-on souvent dire des poules pondeuses, des veaux à viande et des chiens gardés en cage à des fins expérimentales qu’ils n’en souffrent pas, puisqu’ils n’ont jamais connu d’autres conditions de vie.
Nous avons vu […] que cela est faux. Les animaux ressentent le besoin de prendre de l’exercice, d’étirer leurs membres ou leurs ailes, de se nettoyer, de se retourner, qu’ils aient ou non jamais vécu dans des conditions qui leur permettaient de le faire. Les animaux grégaires sont perturbés lorsqu’on les isole des autres membres de leur espèce, même s’ils n’ont jamais connu d’autres conditions de vie, et à l’inverse leur immersion dans un trop gros troupeau peut avoir le même effet, en raison de l’incapacité où s’y trouve l’animal individuel de reconnaître les autres individus. Ces stress se manifestent sous forme de vices comme le cannibalisme.
L’ignorance généralisée de la nature des animaux non humains permet à ceux qui les traitent ainsi d’écarter les critiques en disant simplement qu’après tout, « ce ne sont pas des humains ». C’est vrai, ils n’en sont pas ; mais ils ne sont pas non plus des machines à convertir le fourrage en chair, ni des outils pour la recherche. Si l’on considère combien les connaissances du grand public sont en retard par rapport aux plus récentes découvertes des zoologistes et des éthologues qui, munis de carnets de notes et d’appareils photogra­phiques, ont passé des mois, et parfois des années, à observer des animaux, le danger de tomber dans un anthropomorphisme sentimental est moins à craindre que ne l’est le danger contraire venant de l’idée commode et intéressée que les animaux sont des mor­ceaux d’argile que nous pouvons modeler de quelque façon qu’il nous plaît de le faire. »

Peter SingerLa Libération animale, 1975, tr. fr. Louise Rousselle et David Olivier, Petite Bibliothèque Payot, 2015, p. 392-393.

 « Quiconque veut s’en tenir à la conviction que les êtres vivants ne sont que des machines, abandonne l’espoir de jamais porter le regard dans leur monde vécu.
Mais celui qui n’a pas souscrit sans retour à la conception mécaniste des êtres vivants pourra réfléchir à ce qui suit. Tous nos objets usuels et nos machines ne sont rien d’autre que des moyens de l’homme. Il y a ainsi des moyens qui servent l’action – ce que l’on nomme des outils, des « choses-pour-agir » – auxquels appartiennent les grandes machines qui servent dans nos usines à transformer les produits naturels, les chemins de fer, les autos, les avions. Il existe aussi des moyens qui affinent notre perception, des « choses-pour-percevoir », comme les télescopes, les lunettes, les microphones, les appareils radio, etc.
Dans ce sens, on pourrait supposer qu’un animal ne serait rien d’autre qu’un assemblage de « choses-pour-agir » et de « choses-pour-percevoir », reliées en un ensemble qui resterait une machine, mais serait cependant susceptible d’exercer les fonctions vitales d’un animal.
Telle est en fait la conception de tous les théoriciens du mécanisme en biologie, l’infléchissant, selon les cas, tantôt vers un mécanisme rigide, tantôt vers un dynamisme plastique. Les animaux ne seraient ainsi que de simples choses. On oublie alors que l’on a supprimé dès le début ce qui est le plus important, à savoir le sujet, qui se sert des moyens, qui les utilise dans sa perception et son action.
[…] celui qui conçoit encore nos organes sensoriels comme servant à notre perception et nos organes de mouvement à notre action, ne regardera pas non plus les animaux comme de simples ensembles mécaniques, mais découvrira aussi le mécanicien, qui existe dans les organes comme nous dans notre propre corps. Alors il ne verra pas seulement les animaux comme des choses mais des sujets, dont l’activité essentielle réside dans l’action et la perception.
C’est alors que s’ouvre la porte qui conduit aux mondes vécus, car tout ce qu’un sujet perçoit devient son monde de la perception, et tout ce qu’il fait, son monde de l’action. Monde d’action et de perception forment ensemble une totalité close, le milieu [Umwelt], le monde vécu [Lebenswelt].
[…]
Pour le physiologiste, tout être vivant est un objet, une chose, qui se trouve dans son propre monde humain. Il examine les organes de l’être vivant et la combinaison de leurs actions, comme un technicien examinerait une machine qui lui serait inconnue. Le biologiste en revanche se rend compte que cet être vivant est un sujet qui vit dans son monde propre dont il forme le centre. On ne peut donc pas le comparer à une machine, mais au mécanicien qui dirige la machine ».

Jakob von Uexküll, Mondes animaux et monde humain, 1934, tr. fr. Philippe Muller, Denoël, 1984, p. 13-15 et 19

Analyse du corpus

Les trois textes développent une réflexion qui repose sur une vision animalise de l’autre espèce :

L’ANIMALISME EST UN COURANT DE L’ETHIQUE QUI S’APPUIE SUR LES AVANCEES DE L’ETHOLOGIE ET QUI DEFEND LES DROITS DES ANIMAUX. CE COURANT SOUTIENT QUE LES ANIMAUX NON HUMAINS SONT DES ETRES SENSIBLES CAPABLES DE SOUFFRIR, ET PAR-LA MEME DIGNES DE CONSIDERATION MORALE DE LA PART DES ETRES HUMAINS.

Texte 1 : Dominique LestelLes Origines animales de la culture, 2001, Flammarion, p. 306-307 : PHILOSOPHE FRANÇAIS.

Une approche mécaniste, objectivante pense l’animal comme un être vivant a historique, simple objet matériel qui interagit avec son milieu.
Une autre approche, aux antipodes de la première appréhende l’animal comme un sujet de droit : capable de produire des représentions relatives à son milieu, il prend connaissance de son environnement et agit en fonction de cette connaissance. (Sujet cognitif et sensible)
Ces deux approches soulignent la complexité liée à la définition de l’animal. Une complexité accentuée par les variations de l’espèce.
  • L’éthologie stipule qu’il existe des variétés comportementales entre des animaux appartenant à la même espèce ! Des différences comportementales interindividuelles. L’exemple des ours !
Deux approches attribuent à l’animal le statut de «  sujet » :
  • La première approche le pense comme un «  sujet de droit »
  • La seconde le pense comme un «  être sensible »
Un écart entre deux conceptions de l’animal :
  • Un être vivant avec lequel l’homme partage son environnement social.
  • Un être vivant, objet de la connaissance et de l’expérimentation scientifiques.

Texte 2 : Peter Singer, La Libération animale, 1975, tr. fr. Louise Rousselle et David Olivier, Petite Bibliothèque Payot, 2015, p. 392-393.

Nous faisant des représentations très simplifiantes et réductrices du monde animal : (Ils ont une vie sociale complexe) : On a tendance à tout expliquer par l’instinct.
On ne se pose pas de questions sur l’affect animal et comment il peut être influencé par l’action humaine. C’est réducteur le fait d’appréhender l’animal systématiquement selon le prisme de l’instinct.
Les animaux souffrent en réalité de la logique de l’exploitation et de l’utilité.
L’animal a droit de vivre dans les conditions qui lui sont naturelles : Celles qui sont adaptées à son organisme.
Le cannibalisme animal est une pratique consistant à manger une ou plusieurs parties d’un individu vivant de la même espèce.
L’animal ne doit pas servir d’outil d’expérimentation : C’est la grande leçon que nous livrent l’éthologie et la zoologie moderne.

Texte 3 : Jakob von Uexküll, Mondes animaux et monde humain, 1934, tr. fr. Philippe Muller, Denoël, 1984, p. 13-15 et 19

Une appréciation juste et objective de l’animal implique le rejet de la théorie mécaniste de ce dernier : Les théoriciens du mécanisme ne pensent l’animal que comme «  une chose-pour-agir ou une chose-pour-apercevoir ».
C’est l’esprit de l’utilité qui conduit à voir l’animal comme outil exploitable le dénuant ainsi de son essence, c’est-à-dire le fait d’être Sujet. L’animal n’est pas seulement assemblage d’organes, il est aussi un être capable d’action et de perceptions.
Le physiologiste n’appréhende l’animal que comme un système mécanisé. Le biologique le pense comme être, comme Sujet.

 

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