« La séduction a toujours été une histoire de manipulation » affirme François Raux. La séduction est présente dans toutes les relations humaines et notamment dans les relations amoureuses. Giacomo Casanova et Don Juan sont les deux personnages-types qui incarnent la figure du séducteur maîtrisant à la perfection l’art de la séduction. De cet art redoutable, les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes idées. Mais ils voient en lui l’opportunité d’exercer un pouvoir sur l’autre. Lequel pouvoir devient opérant grâce à un ensemble de stratagèmes où la douceur se mêle à la violence. Mais il est nécessaire de définir la séduction d’abord avant d’en analyser les formes et les effets. Séduire du latin seducere, signifie littéralement « tirer à l’écart ». Il désigne l’action de charmer, de fasciner et d’attirer quelqu’un généralement pour l’inciter à consentir à des rapports sexuels « conduire à soi ». Séduire signifie ainsi détourner quelqu’un de son chemin initial et le manipuler en lui imposant sa propre volonté et ses propres désirs. Dans son sens sexuel, la séduction s’apparente à un jeu consistant à susciter les sentiments et l’attirance de l’autre par divers moyens dans le but de le soumettre ou d’obtenir une relation sexuelle ou une relation amoureuse.
Pourquoi cherche-t-on à séduire ? Quels moyens emploie-t-on pour le faire ? Comment réussir à séduire l’autre ? Quelles qualités requiert l’art de séduire ? Hommes et femmes séduisent-ils de la même manière ? Séduire est-il sans risque ?
Dans quelle mesure se cache, derrière les apparences douces d’une séduction, une violence cachée et un désir narcissique de pouvoir et de possession ?
I- Séduction : motifs, moyens et finalités :
1- Des raisons de séduire :
La séduction peut être motivée par le désir d’obtenir une faveur de l’autre ou de susciter chez lui un sentiment d’amour, une admiration ou une attraction. On peut séduire également afin de donner une image avantageuse de soi et de s’affirmer ou de tester sa désirabilité.
Les avantages que l’on chercherait à avoir de l’autre en le séduisant peuvent être de différentes natures : sexuelle, matérielle ou même vénale. La séduction s’apparente dans ces cas à une double manipulation : physique et psychologique à la fois.
Mais l’avantage recherché par la séduction peut être de nature immatérielle. On peut séduire dans le but d’être reconnu, estimé ou aimé. En visant une relation sexuelle passagère ou même amoureuse durable avec l’autre, séduire devient un passage nécessaire et une étape préalable incontournable. La séduction ne se limite pas au début d’une relation, elle se poursuit tout au long de son évolution et participe au renforcement des liens entre le couple. Séduire est, en effet, ce qui permet de construire et de fortifier la complicité amoureuse entre les deux amoureux favorisant ainsi la continuité de la relation.
2- Les moyens de la séduction :
Les moyens déployés dans le cadre de la séduction sont multiples et variés. On peut séduire en cultivant le paraître et en travaillant sur les apparences afin d’attirer l’autre, comme on peut faire de la séduction un jeu où la légèreté et la frivolité sont les maîtres mots. Généralement, le corps est le moyen principal et le support essentiel de la séduction. Il est ainsi exhibé, caché ou étalé de façon suggestive ou très sensuelle. Il peut être aussi un outil de provocation ou le lieu d’attitudes théâtrales ou de manières affectées. Tous les aspects du corps sont mobilisés pour parvenir à manipuler l’autre et le séduire. La morphologie corporelle, la dimension physiologique, sexuelle et hormonale sont toutes exploitées pour atteindre cette fin. Le comportement adopté par le séducteur rappelle les conduites animales et les comportements typés et stéréotypés qui précédent l’accouplement et garantissent la procréation. Chez l’être humain, la séduction est liée davantage à la forme corporelle, et aux émois et expressions corporels.
La séduction peut opérer par des moyens moins doux en employant la contrainte, la violence et la brutalité, généralement quand il s’agit de séduction masculine. Cette séduction masculine à la manière forte s’oppose à la séduction féminine qui fait usage de moyens moins violents certes, mais non moins efficaces comme les larmes, les évanouissements, la parole agissante et le regard.
Les modes d’expression employés dans le cadre de la séduction se rapportent au langage et varient selon les groupes et les contextes sociaux.
3- Conséquences et finalités de la séduction :
Comme toute action, la séduction poursuit des finalités dont le jugement peut être positif comme négatif. Elle est généralement dévalorisée par la religion car considérée comme une forme de tentation, une incitation et invitation au péché. Séduire n’est-il pas, dans son sens littéral, « conduire ailleurs », « détourner » du droit chemin.
Séduire consiste à avoir une emprise sur l’autre et à le conduire ailleurs, vers soi. Cette emprise se traduit par un consentement et par une adhésion de l’autre qui devient pour ainsi dire captif d’un pouvoir inexprimable. Le séducteur exerce sur l’autre une puissance et une fascination, qui le rendent facilement manipulable et maîtrisable, soumis aux désirs du séducteur.
Par les différents moyens matériels, immatériels, rationnels et irrationnels et par les stratagèmes qu’il utilise, le séducteur parvient à charmer et à ensorceler l’autre. Ce pouvoir de séduction demeure insaisissable.
Le plaisir demeure l’une des finalités majeures de la séduction. En effet, nul ne peut ignorer la dimension libidinale de celle-ci. Elle permet de satisfaire le désir narcissique d’avoir une emprise sur l’autre, comme elle est satisfaction d’une pulsion.
L’autre peut être récalcitrant en montrant une résistance à ces formes de séduction et en adoptant des comportements défensifs ou d’évitement. La séduction est, dès lors, conçue comme une forme d’intrusion et de tentative de subordination et d’appropriation notamment quand elle adopte une forme pathologique accompagnée d’actes de violence. Dans ce cas, elle est vécue comme une atteinte à la liberté personnelle, comme un traumatisme profond et comme une destruction de l’équilibre psychique de la personne.
II- La séduction : un art puissant et dangereux :
1- L’art de la séduction, le libertinage :
La séduction est un art capital aux yeux des libertins qui avaient conscience de sa puissance. L’amour est généralement présenté comme le principal motif de la séduction. Or, l’amour est durable, tandis que la séduction peut facilement changer d’objet. Le séducteur semble agir par amour, mais il ne peut résister à la nouveauté d’un autre objet d’amour. Il est plus motivé par le désir de séduire que par l’amour sincère.
Casanova fut, à ce titre, L’un des séducteurs les plus célèbres de la littérature. Ce personnage relate ses Mémoires les innombrables moyens et stratagèmes qu’il met en place dans le but de séduire les femmes et de les inciter à tomber sous son charme. Libertin par excellence, l’amour est pour lui une conquête en vue de gagner les faveurs de l’aimée. Il confond ainsi l’amour, d’un objet unique, avec le désir qui tend vers un autre objet au moment même où il est comblé par un premier. Il dit à ce sujet que : « L’amour est une fatalité, écrit-il, une maladie incurable, mais, sans elle, la vie ne vaudrait pas d’être vécue… Amour ! Monstre charmant qu’on ne peut définir et qui, au milieu de mille peines que tu répands sur la vie, sème l’existence de tant de plaisir que sans toi l’être et le néant seraient unis et confondus. »
La rupture de Casanova avec une femme n’est que l’étape qui précède une nouvelle conquête et l’excitation à l’idée de la séduction d’une nouvelle femme. Le séducteur jouit du moment de la séduction plus qu’il ne jouit de la possession de l’objet de son désir. La séduction est en réalité anticipation d’un plaisir espéré.
Pour parvenir à ce plaisir, le séducteur doit être un fin stratège et un conquérant déterminé qui ne recule devant aucun obstacle et qui peut user des belles paroles pour faire chavirer le cœur de la femme. Il doit aussi être en mesure de varier les armes et de multiplier les plans qu’il imagine en exploitant les points faibles de sa cible.
Dans Les Liaisons dangereuses, de P. Laclos, Valmont, qui se compare aux grands conquérants tels Alexandre et César en visant à faire tomber la forteresse de la femme à conquérir. En effet, plus la résistance de la femme est grande, plus grand est le plaisir ressenti par le séducteur.
2- Séduction et narcissisme :
Le concept de séduction narcissique est introduit par Paul-Claude Racamier. Il dit à ce propos : « Je la comprends, écrit-il, comme un processus actif, puissant, mutuel, s’établissant à l’origine entre l’enfant et la mère, dans le climat d’une fascination mutuelle foncièrement narcissique. Sous-tendant cette séduction : un fantasme d’unisson, de complétude et de toute-puissance créative. Une devise : Ensemble à l’unisson, nous faisons le monde, à chaque instant et à jamais. »
La séduction narcissique est une tentative de réaliser le fantasme de l’union et de la fascination déjà vécues avec la mère. C’est un moyen d’éterniser la relation avec l’autre en gardant une certaine emprise sur lui. On cherche à faire de l’autre non un autre, mais une partie intégrante de soi, à le ré-inclure en soi.
La séduction narcissique vise à faire durer au maximum l’emprise que l’on a sur l’autre. La sexualité est elle-même détournée en un moyen d’emprise. Le séducteur narcissique ne permet pas à l’autre d’échapper à cette fascination, ni à devenir autonome.
3- Séduction, violence et perversion :
La séduction peut être une forme de perversion quand elle a pour finalité la recherche de relations sexuelles sans lendemains, comme c’est le cas pour le personnage de Molière Don Juan. La séduction perverse est sans rapport avec l’amour. Elle est uniquement une volonté de transgresser l’ordre moral et de nier les valeurs humaines et de braver les lois religieuses. Don Juan incarne dans ce sens la figure du révolté qui ne reconnaît aucune limite et qui s’amuse à susciter l’indignation des autres.
La séduction perverse réduit la femme à un simple objet sexuel ou à un trophée parmi tant d’autres. Don Juan apparaît ainsi non comme un amoureux, mais comme un collectionneur qui ne voit dans toute femme qu’un numéro à ajouter à la liste de ses conquêtes. Tous les moyens sont bons pour atteindre la finalité escomptée : séduire encore et encore. Les mensonges, les tromperies, les duperies, la violence et la brutalité sont autant de moyens mis en place par le séducteur perverse afin de garantir la soumission totale de la femme séduite.
Dans la pièce de Molière, Don Juan n’hésite pas à kidnapper Elvire qui se dirigeait vers le couvent suscitant ainsi la colère de son père et de son frère. Dans la séduction perverse, le séducteur peut même recourir au viol en abusant de la faiblesse féminine. La séduction devient alors un art dangereux reposant sur la tromperie et la transgression.
Le séducteur pervers est en quête de plaisir charnel, sans scrupules et sans aucune considération des règles sociales, morales ou religieuses. Séduire une femme devient même, pour certains, le moyen rapide de réaliser une ascension sociale : « Au XIX siècle, écrit A. de Marnhac, la séduction n’est plus une fin en soi mais un moyen ; elle a cessé d’être un jeu libertin pour devenir un enjeu social. Usant de leurs charmes, ces jeunes gens pressés vont avoir des femmes pour être quelqu’un ».
Le personnage de Maupassant Bel-Ami est l’exemple parfait de cette séduction perverse machiste et cruelle à la fois. Après avoir séduit ses maîtresses, il leur fait subir humiliations, coups et moqueries. Il utilise ses talents de séducteur pour mieux satisfaire son désir de sadisme : « Il avait la parole facile et banale, du charme dans la voix, beaucoup de grâce dans le regard et une séduction irrésistible dans la moustache. Elle s’ébouriffait sur sa lèvre, crépue, frisée, jolie, d’un blond teinté de roux avec une nuance plus pâle dans les poils hérissés des bouts… une moustache retroussée qui semblait mousser sur sa lèvre. »
A l’instar de Narcisse, Bel-Ami se contemple devant un miroir et prépare son arsenal, son arme fatale, son corps : « il aperçut soudain en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. Ils se trouvaient si près l’un de l’autre qu’il fit un mouvement en arrière, puis il demeura stupéfait : c’était lui-même, reflété par une haute glace en pied qui formait sur le palier du premier une longue perspective de galerie. Un élan de joie le fit tressaillir tant il se jugea mieux qu’il n’aurait cru. Alors il s’étudia comme font les acteurs pour apprendre leurs rôles. Il se sourit, se tendit la main, fit des gestes, exprima des sentiments : l’étonnement, le plaisir, l’approbation ; et il chercha les degrés du sourire et les intentions de l’œil pour se montrer galant auprès des dames, leur faire comprendre qu’on les admire et qu’on les désire ».
La séduction accompagnée de violence et notamment de violence sexuelle s’apparente à un certain type de sado-masochisme. On use de son charme pour asservir et dominer les femmes.
III- La séduction entre nature et culture
1- Séduction féminine et séduction masculine :
La séduction varie selon le sexe. Le séducteur est généralement un homme doté de charme, élégant mais qui n’est pas forcément beau physiquement. Il se démarque par son intelligence, par l’aisance de ses gestes et par sa maîtrise de la belle parole. Des atouts qui lui permettent de réussir à séduire les femmes.
Le pouvoir de la séduction masculine est basé essentiellement sur la force de la persuasion. Serments, déclarations, promesses et travail sur l’image corporelle sont ce qui distingue la séduction masculine. L’admiration étant l’objectif du séducteur. Le séducteur, par sa capacité à imaginer, élabore des plans stratégiques complexes.
Pour la séduction féminine, il y a davantage un jeu du corps et un travail au niveau du maquillage et des artifices en rapport avec l’apparence extérieure. La coquetterie est à ce sujet une arme féminine fatale. Le jeu sur le charme du corps et sur sa capacité d’attirance est non négligeable. Un jeu subtile de voilement-dévoilement, de montré/caché avec toute la puissance de la suggestion.
A. de Marnhac affirme que la séduction féminine est née avec le cinéma et avec l’art de l’image : « La vamp, le sex-symbol, la star, la baby doll, la bombe, la femme fatale, sont nées avec le septième art et restent autant de modèles de la séduction féminine poussée jusqu’au mythe ».
La séduction naturelle de la femme est renforcée par un travail supplémentaire sur le mouvement, la parure et la voix.
La séduction féminine a pour but susciter le désir de l’homme afin de garantir la continuité de l’espèce. Les femmes usent de leur beauté et de leur attrait sexuel pour conduire les hommes ailleurs. C’est le cas de Dalida qui avait séduit Samson qui, aveuglé, devint victime du désir féminin.
La séduction féminine peut être vénale en prenant la forme d’une prostitution. Le plus vieux métier du monde où la femme utilise son charme et séduit avec son corps en contrepartie d’argent ou de biens matériaux. La séduction s’apparente, dans ce contexte précis, à un commerce. La séduction vénale est présente dans l’œuvre de Zola Nana, comme dans l’œuvre de Proust Un amour de Swan.
2- La séduction : du jeu à la tragédie en littérature :
Les œuvres littéraires regorgent de portraits de séducteurs et de séductrices. Ils permettent d’explorer les motivations qui les animent en découvrant ainsi les profondeurs et le côté sombre de l’âme humaine. Par leurs écrits, les écrivains dévoilent les secrets et les artifices des séducteurs et des séductrices. La séduction commence généralement comme un jeu visant à atteindre le plaisir. Un plaisir parfois narcissique qui se termine souvent en tragédie.
Casanova, Don Juan, Salomé et autres, sont des figures de séducteurs qui ont participé à alimenter l’imaginaire collectif et faire connaître l’art de la séduction. Des personnages qui ont bravé les interdits et qui ont participé au jeu de la séduction pour différentes raisons et qui n’ont pas échappé au jugement moral ni à la condamnation des lecteurs. Le sort tragique qui a été réservé par beaucoup d’écrivains à ces personnages témoigne de la volonté de faire d’eux un contre-exemple. Néanmoins, le séducteur et la séductrice sont devenus des archétypes qui transcendent le temps et l’espace.
3- De la séduction individuelle à la séduction sociale et politique :
La séduction est présente dans toutes les relations humaines. elle est une constante qui nous aide à percer les grands phénomènes sociaux et politiques. La séduction participe en effet au bon fonctionnement groupal et social notamment quand elle repose sur des codes langagiers, des comportements non verbaux et des mécanismes psychologiques. Dans le cadre social, séduire consiste d’une certaine façon à tromper et à leurrer l’autre quelques soient les intentions. Le charisme est le type de séduction le plus proche de la nature, mais il repose essentiellement sur le discours, la confiance en soi et la force de la personnalité. Les politiciens usent de l’art de la séduction afin de soumettre des peuples entiers à leur volonté ou à celle d’un dictateur. Dans le domaine de la politique, le pouvoir de la séduction se traduit par le « culte de la personnalité » et par une surexposition de l’image du chef.
La séduction est un pouvoir de fascination visant à avoir une emprise sur l’autre. Les raisons et les moyens de séduire varient, mais les séducteurs visent généralement à imposer leur volonté à l’autre afin de mieux s’affirmer en le dominant et en l’asservissant. La séduction est un art complexe et très puissant. Il est même dangereux, notamment dans sa forme narcissique et perverse. Séduction féminine et masculine, malgré leur différence, sont une matière riche de la littérature. Il faut dire que la séduction est présente dans toutes les relations humaines, aussi bien au niveau social qu’au niveau politique.