Phèdre et Hippolyte dans la tragédie de Jean Racine, Phèdre
Phèdre est en soi une pièce entièrement consacrée à la problématique du désir : désir d’obsession, désir et passion, désir et jalousie, désir et mort –Éros et thanatos-, force et faiblesse du désir, désir et action, désir et culpabilité, désir et aveu, désir et absolu, désir et morale… toutes les thématiques peuvent y trouver une illustration et il est probables que tout intitulé de dissertation accueille aisément la référence racinienne.
Phèdre constitue l’apogée du genre tragique chez Racine, c’est l’histoire d’une reine qui meurt d’un mal qu’elle dissimule et dont l’aveu précipite l’horrible dénouement. C’est l’histoire d’un douloureux combat d’un désir tombé sous le joug d’une loi condamnatrice. Phèdre (personnage hyponyme) est gouvernée par une violence qui naît d’un désir impossible, interdit, voire un désir non désiré, mais fatal. Entre fureur et passion, découlent des conséquences mortifères pour le sujet et l’objet.
Le fou désir de Phèdre :
Le désir de Phèdre subordonne sa volonté, la raison n’y a aucune prise (Exemple : la scène d’aveu de Phèdre à sa confidente Oenone, une déclaration qui formule la dimension érotique du désir car c’est le corps de Phèdre qui s’exprime, un corps gouverné par l’émoi (trouble – émotion)).Une sorte de folie s’empare de Phèdre, comme l’écrit Kant, dans Anthropologie du point de vue pragmatique III, § 73 : « […] La passion [agit] comme un torrent qui creuse de plus en plus profondément son lit […] La passion [est] comme une maladie qui résulte d’une construction viciée ou d’un poison absorbé ». Un venin venu de nulle part, d’une nature inconnue, circule dans les corps, dérègle les sens puis le sens du monde. Hyperbolique dans sa nature et dans son développement, le désir de Phèdre se substitue à Phèdre et effacerait presque celui d’Hippolyte pour Aricie.
Un désir séducteur insatiable ou chaste amoureux ?
Thésée le roi et père d’Hippolyte, est un homme de la conquête, du désir constamment assouvi et constamment relancé, insatiable, dévorateur : c’est un homme inconstant et séducteur, son désir est sans objet véritable que lui-même et dont il reste maître. Voilà pourquoi Hippolyte refuse d’aimer ; mais malgré lui, il tombe amoureux d’Aricie. C’est un désir moins sensuel et moins érotique que celui de la reine, c’est un amour platonique pur (amour platonique : amour incorporel, privé de toute envie et tout désir physique).
Vanité des esquives :
Le jeu du désir est impossible à esquiver. L’interdit permet de catalyser (déclencher- provoquer) l’émotion de la décupler (accroître). Cet interdit est d’ordre moral (adultère- inceste) et politique (désobéissance à Thésée : père et roi). Dans cette pièce, le désir se murmure et se hurle. Hippolyte accepte son désir pour Aricie comme une faiblesse, une entorse (infraction –violation) à la chasteté jurée. Quant à Phèdre qui essaie de faire taire la violence de son désir, elle se sent victime plus que coupable, la tyrannie du désir qu’elle sent est une malédiction, une épreuve envoyée par les dieux (Vénus qui la tient captive) à laquelle elle devient objet d’une malédiction, ainsi l’espoir en une mort rédemptrice / libératrice est permis.
Le désir est un dérèglement total :
La scène 3 de l’Acte I, Phèdre avoue à sa confidente Oenone son terrifiant et horrible désir à l’égard d’Hippolyte.Le deuxième aveu de Phèdre est à la scène 5 de l’Acte II, se fait à Hippolyte et de nouveau quasiment malgré elle. => Le désir fait parler à tort et à travers.
L’amour d’Hippolyte et d’Aricie devient un obstacle devant la satisfaction du désir de Phèdre (conflit des désirs). Ainsi, le désir fait que le sujet n’est plus lui-même. Le tragique naît de cette opposition frontale : Phèdre meurt de n’être rien pour son objet désiré -Hippolyte-, et du vide que cela creuse en elle. Le désir pour Hippolyte va bien au-delà d’une simple quête d’amour ; c’est aussi le désir d’être reconnue, et nécessairement le constat douloureux de n’être pas soi sans lui. On pense ici à ce qu’explique Hegel dans la Phénoménologie de l’Esprit : « c’est en fait un autre que soi qui est l’essence du désir[…] La conscience de soi ne peut atteindre sa satisfaction que dans une autre conscience de soi ». => La Phèdre qui désire Hippolyte de tout son être, voudrait être reconnue comme une femme, indépendamment de son statut de reine. Elle est une femme éprise de l’interdit- une femme incestueusement éprise du fils de son mari, une femme qui transgresse la loi.
Le personnage de Phèdre – sujet désirant par excellence- est l’exemple d’une diffraction identitaire, qui confronte « ce que je dois être » et « ce que je suis ». C’est un personnage tragique qui cristallise l’exemple de la condamnation morale du désir violent et furieux.Une problématique morale : le désir contre la « loi » =Le désir de Phèdre est condamnable, condamné ; s’agit-il d’un désir qui défie la loi, ou d’un désir que la loi étouffe et écrase en le tuant ?
- L’objet désiré n’existe que pour la conscience qui le désire, mais se confond simultanément avec le manque qui conditionne son existence : Hippolyte conditionne l’existence de Phèdre comme désirante, mais si le désir venait d’être satisfait, que resterait-il de l’Hyppolite qu’espère Phèdre ? N’est-ce pas l’essence du désir que de se construire dans le refus permanent, et sa continuité ?
- Dans Phèdre l’impossibilité de vivre son désir en ce monde, sa nécessaire corrélation avec la mort, le tragique inhérent à sa définition humaine (l’homme en tant qu’être soumis à la fatalité + être voué à la mort et à une fin), tout cela peut ramener à l’image du gouffre infini que rien ne peut combler ; sauf Dieu, par exemple. (Ici, on peut citer Sainte Thérèse d’Avila, que je vous présenterai dans la fiche qui suit).
La Transverbération(ou l’extase) de Sainte Thérèse – Le Bernin –
Transverbération : phénomène mystique rare désignant le transpercement spirituel du cœur par un trait enflammé.
La Transverbération de Sainte Thérèse de nature architecturale est une œuvre qui attire par sa force d’interprétation c’est à dire l’émotion qui s’en dégage. Le jeu des couleurs (impression de contraste avec l’emploi du marbre polychrome) attire l’œil, plus l’impression de légèreté despersonnages (le jeu théâtral qui en ressort).C’est uneœuvre d’expression !!
Analyse et interprétation de l’œuvre:
–La lumière:Cette œuvre est avant tout frappante avec ses jeux de contrastes et de lumière grâce àl’exploitation des matériaux tels que le marbre et l’or. Le Bernin a travaillé sur les détails lumineux:par exemple, la clarté des rayons lumineux symbolisant Dieu est renforcée par une sourcelumineuse (un oculus / ouverture) non visible par les spectateurs. Les colonnes noires marbrées entourantSainte Thérèse et l’ange font bien ressortir leur blancheur (cela se voit dans la deuxième image)
–Trompe-l’œil: D’autre part, cette œuvre frappe par ses trompe-l’œil avec sur les côtés latéraux les »spectateurs » de la scène c’est une sorte de tableau dans le tableau !!
–Personnages et sentiments: La Transverbération de Sainte Thérèse est une œuvre légère etvoluptueuse (le flottement des habits des personnages avec le travail détaillé des plis). Lesmouvements des personnages sont très légers. Concernant les sentiments,Sainte Thérèse ressent unesorte d’extase car il s’agit ici del’ange : un messager du Ciel venant accomplirl’acte de Dieu. Cette extase se lit bien sur le visage de Sainte Thérèse car celle-ci a les yeux mi-closainsi que ses lèvres entrouvertes à mi-chemin entre la vie et la mort.En plus: Le fronton au-dessus représente la continuation de l’au-delà. Celui-ci étant clairementmarqué par les rayons lumineux puis continué par la représentation des anges sur le fronton.
Fonction de l’objet:Cette œuvre a pour but d’une part d’impressionner les croyants de les appeler àregarder et à croire d’avantage en Dieu. Et d’autre part de manifester la richesse des lieux (emploi dumarbre et de l’or qui sont des matériaux riches).
La sculpture est la représentation d’une expérience spirituelle par une incarnation. Ici, l’âme et la chair ne font qu’un, sont indissociables. Le Bernin a réussi à donner vie à une extasemystique en l’incarnant dans une extase physique.(Extase : mot emprunté au latin ecclésiastique : « fait d’être hors de soi » ; désigne l’état particulier d’une personne transportée hors d’elle-même, en union intime avec la divinité. (Dictionnaire historique de la langue française)
La Transverbération de Sainte Thérèse, et le désir : ou la passion selon Thérèse
En latin impérial passio fut synonyme de souffrance,d’où la passion du Christ, passio Christi, un mal pour un bien selon les théologiens puisqu’elle racheta la faute d’Adam et Ève et nous permit d’espérer la jouissance éternelle grâce à la vision béatifique, celle de Dieu.
Animée par un fort désir de sainteté, Thérèse d’Avila s’est heurtée aux diverses manifestations de sa faiblesse. Pour être une sainte, il fallait avoir des grâces mystiques, être parfaite, avoir une totale maîtrise de ses émotions ; Thérèse découvre son chemin malgré tout obstacle et se voue à Dieu et à Jésus. Thérèse n’avait pas seulement un désir unique, plutôt des désirs, un véritable feu d’artifice de désirs insatiables qui sont un martyre du cœur. Le désir de Thérèse est d’aimer, seul compte l’amour, cet amour est en Dieu et Jésus. La sculpture de le Bernin montre l’expérience mystique de sainte Thérèse d’Avila. C’est « la blessure d’amour » où un ange vient, dans un songe, planter une flèche, dans le cœur de Sainte Thérèse. Cela fait penser à la mythologie, du petit Cupidon / Éros et de sa flèche qui rend amoureux ceux et celles qu’elle touche. Mais le Bernin va beaucoup plus loin, avec les détails mystiques de la sculpture qui donnent à penser une spiritualité et un désir transcendant. Avec les mouvements de cette œuvre d’art, Sainte Thérèse d’Avila semble avoir la volonté de monter, d’escalader, vers son désir divin tout haut. C’est un message à tous ceux qui sont loin de Dieu, d’avoir le courage de monter vers lui et de vivre cet extase spirituel, il faut avoir le désir de monter vers la force suprême, il y a toujours un ange pour nous guider.