Par : F.SAMIRA – CPGE – Ouarzazate.
Contenu : Le totémisme, l’animal une représentation de l’homme (C. Levi Strauss)
Objectif : connaitre la place du totémisme dans la relation homme et animal.
Introduction
1)- Définition du totémisme :
Nom masculin
- ETHNOLOGIE : organisation sociale, familiale fondée sur les totems et leur
Le totémisme est un concept anthropologique qui désigne un mode d’organisation social et religieux, clanique ou tribal, fondé sur le principe du totem. On peut dire, par exemple, comme Anne Stemm, ethnologue membre du CTHS, qui écrivait ː « un « totem » est un animal, un végétal, voire un objet fabriqué qui est considéré non seulement comme le parrain du groupe ou de l’individu mais comme son père, son patron ou son frère : un clan se dit parent de l’ours, de l’araignée ou de l’aigle »
Le lien entre le groupe social, ou l’individu, et son totem n’est pas seulement fondé sur une analogie de nom ou sur une ressemblance quelconque (la ruse du renard et la ruse d’un individu), mais est un rapport spirituel qu’on a pu qualifier de mystique.
- Totem (Synonyme : emblème – mascotte – symbole) : Animal ou végétal considéré comme l’ancêtre et/ou le protecteur d’une collectivité ou d’un individu. (Le totémisme a reçu une définition variée suivant les auteurs : aussi, de nos jours, c’est plutôt la nature du totem, les relations, de type symbolique, qu’il entretient avec le groupe qui font l’objet des travaux des anthropologues, notamment après les positions prises par Lévi-Strauss dans le Totémisme aujourd’hui [1962], qui marque une date dans l’histoire du )- la représentation de cet animal.
2)- Redéfinition du totémisme – Levi Strauss :
Deux ouvrages marquent les fondements de l’anthropologie moderne : le totémisme d’aujourd’hui – la pensée sauvage.
Levi Strauss dénonce dans le premier, ce qu’il appelle « l’illusion totémique » : « le totémisme est d’abord la projection hors de notre univers et comme par un exorcisme, d’attitudes mentales incompatibles avec l’exigence d’une discontinuité entre l’homme et la nature, que la pensée chrétienne tenait pour essentielle. » Le totémisme aujourd’hui.
Par ce terme, des ethnologues occidentaux ont désigné des systèmes de représentation d’où était absente la séparation entre la nature et la culture, l’animal et l’homme propre à la pensée chrétienne et à la tradition rationaliste. Une relation fusionnelle avec la nature, le totémisme prétend rendre compte de la pensée du sauvage, que l’on se plait à imaginer comme « un être à peine sorti de la condition animale, encore livré à l’empire de ses besoins et de ses instincts », La pensée sauvage.
Le totémisme pour Levi Strauss, loin d’être un contenu de pensée, c’est une forme de pensée : elle établit des relations entre des éléments de l’expérience sensible, les associe au vu de leurs ressemblances ou au contraire les inscrit dans un jeu d’incompatibilités. Dès lors, les animaux ne sont qu’accessoirement saisis sous le rapport de l’espèce comme dans les grandes classifications du XVIII ème siècle occidental. En ce sens, animaux et plantes, sont des symboles et remplissent la fonction de concepts opératoires pour organiser et structurer un monde qui ne peut être représenté et compris autrement que comme un système de correspondances et de relations entre les êtres, entre les modes de vie des animaux et ceux des hommes. Levi Strauss cite en exemple les Navaho qui, dit-il, « se proclament eux- mêmes “grands classificateurs”», La pensée sauvage. Ils « divisent les êtres vivants en deux catégories, selon qu’ils sont ou non doués de la parole. Les êtres sans parole comprennent les animaux et les plantes. Classer ne veut pas dire distinguer, mais associer et comprendre le monde à travers ses correspondances. C’est en ce sens que l’on peut comprendre la formule de Levi Strauss « l’animal est bon à penser » : non pas seulement pour être pensé, mais faire penser et notamment pour rendre possible une pensée organisée du monde, pour le reconstituer en une cosmologie qui tire sa cohérence des liens qui peuvent être établis entre les êtres.
I)- Une connaissance véritable des animaux :
Le peuple indien – par exemple comme le cite Levi Strauss, met en avant le caractère affectif et désintéressé de la connaissance que ce peuple a des animaux. La science des animaux, dans ce cadre est au sens propre, une familiarité et elle fait véritablement lien, car elle est motivée par des sentiments amicaux, non par un projet qui tel le projet cartésien tend à faire de la science le moyen de se rendre
« comme maître et possesseur de la nature ». A l’intérieur des mythes et des rites, le rôle dévolu à tel ou tel animal s’explique au regard de cette connaissance à la fois précise et concrète.
Dans les représentations de type totémique, les relations entre les espèces animales, les différences et les similitudes dans leur apparence et leur comportement, sont interprétées en termes d’amitié ou d’hostilité, d’opposition ou d’accord. De la sorte, le monde animal apparaît animé par des relations de type social. Et celles-ci peuvent représenter, constituer la figure des rapports entre groupes humains. Selon cette perspective, les animaux cessent d’être un pur « prétexte arbitraire » ou un « stimulant naturel », ils ne sont plus l’objet d’une vénération incompréhensible ni simplement «bons à manger » : ils sont « bons à penser. Il convient de voir, selon Lévi-Strauss dans l’état de nature moins le tableau d’un état présocial que celui de nature humaine ». Celle-ci se caractérise, en effet, par une inclination spontanée à l’identification avec ses semblables, et avec les animaux en général. Le totémisme, ou cette identification originaire permet que les hommes puissent appliquer les différences observées dans le monde naturel à leurs propres groupes. Le totémisme serait la première instance d’un des tropes fondamentaux du discours, la métaphore.
II)- l’animal dans la pensée sauvage :
La représentation mythologique d’animaux (ou d’êtres mi- animaux mi- humains), résulte de l’imagination de primitifs qui, parce qu’ils ne possèdent pas la science moderne, ne disposent d’aucune méthode intellectuelle pour se rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes). Selon Levi Strauss, si l’imagination tient ici un rôle, il n’est pas différent de celui qu’elle joue dans les conceptions scientifiques modernes et mathématisées. Les animaux ne sont pas simplement des créatures mythiques : ils délimitent les bornes d’un système linguistique, donc d’une connaissance de la nature.
Si le sauvage représente l’animal, avec son art du « bricoleur » : la bête est reliée aléatoirement à des groupes sociaux, des objets artificiels, des êtres naturels, des végétaux. A cette conception éclectique (variée), s’oppose celle de « l’ingénieur » qui reconstruit, en pensée et dans ses expérimentations, l’animal comme une machine, dont il évaluerait objectivement le profit à tirer, notamment en tant que force mécanique.
Certaines cultures ne disposent pas du terme abstrait « animal » dans leur vocabulaire. Cela signifie-t-il qu’elles n’ont aucune considération pour lui ? Levi Strauss remarque, que l’absence du « mot » n’est pas l’absence de l’idée. Le moderne se sert de « mot » / « signifiants » pour classer des espèces animales (signifiés), le sauvage se sert des animaux concrets (signifiants) pour faire signe vers une logique (signifiée). Contrairement aux classifications de Linné ou de Buffon, celles de la pensée sauvage sont bornées, pour trois raisons : la nature ne crée pas un nombre infini d’espèces ; la tradition orale ne permet pas la transcription exhaustive du vivant ; la classification forme un tout fermé sur lui-même. Pour le moderne, les espèces animales sont séparées par des événements, des ruptures historiques qui permettent de les maîtriser : nommer = s’approprier. Dans la pensée sauvage, elles sont séparées par des structures naturelles, linguistiques ou sociales.
III)- La classification animale et le totémisme : symbole :
La culture scientifique moderne sert à détailler les espèces animales ; la pensée sauvage se sert des espèces animales pour détailler le système culturel. Le serpent mythique Yurluggur, chez les Murgin d’Australie, représente à la fois une courbe sinusoïde, homogène à la pluviométrie annuelle régionale, et la menace planant sur les unions incestueuses. L’animal fait sens vers une structure culturelle, où le mythe et l’interdit se rejoignent pour former un système totémique. Pour un animal, être « totem », peut se corroborer per le fait d’être aussi tabou.
L’animal devient un signe (symbole) d’une humanité sans frontières. Face aux classifications modernes, qui peuvent toujours faire surgir une nouvelle espèce au sein d’un règne défini à l’avance, les frontières structurées des taxinomies de la pensée sauvage dont l’image d’une diversité qui s’étend dans l’espace, plutôt que dans le temps. L’homme et l’animal ne sont plus considérés comme deux événements de l’histoire, fussent-ils reliés par une théorie de l’évolution (Darwin) : ils appartiennent à la même structure. La pensée sauvage empêche de considérer l’homme et l’animal dans des plans séparés. La considération dans des animaux dans la pensée sauvage contribue à repenser les frontières de l’humanité, lesquelles ont longtemps épousé celle de la tribu. Levi Strauss rapporte que des membres de groupes distincts ayant le même animal- totem deviennent, après une discussion, parents. L’identification animale prime alors sur la cohérence du groupe humain : les totems promeuvent l’idée d’une humanité « sans frontières ».
Conclusion :
- Le totémisme est une forme de pensée à l’intérieur de laquelle les animaux sont des critères de classification et remplissent une fonction symbolique. Le totémisme est une pensée métaphorique qui prend appui sur les représentations de l’animal.
- Classer ne veut pas dire distinguer, mais associer et comprendre le monde à travers ses C’est en ce sens que l’on peut comprendre la formule « L’animal est bon à penser », c’est-à-dire non pas seulement pour être pensé, mais pour faire penser.
- Dans les représentations de type totémique, les relations entre les espèces animales, les différences et les similitudes dans leur apparence et leur comportement, sont interprétées en termes d’amitié ou d’hostilité, d’opposition ou d’accord. De la sorte, le monde animal apparaît animé par des relations de type social et constitue un modèle pour les sociétés humaines.